Commentaire sur la Torah
Commentaire psychologique de la Torah.
Page 1 sur 196Rav Haïm Harboun Didier Meïr Long מַ עֲשֵׂ ה אֲבֹות Page 1 sur 196
Page 2 sur 1962 1 INTRODUCTION DIDIER LONG 8 2 GENESE 10 Béréchit, l’inscription du nom dans le temps 10 Celui qui nomme sa création 10 Le nom de l’homme 11 Les noms de Dieu 12 Faisons l’homme à notre image 15 Homme et femme il les créa 17 Les feux de l’amour 19 L’homme, gardien du temps 20 Rechercher la vérité, la tâche de l’homme 22 L’homme entre terre et ciel, matériel et spirituel 24 La lumière de la Torah 26 Noa’h 29 Lèkh-Lékha 31 Vayéra : « Le Miséricordieux demande le cœur » 31 Hayé Sara 34 Qu’est-ce qu’une vie réussie ? 34 A l’heure de notre mort 36 Ce que nous voyons 38 L’enfantement du temps 39 Toledot 40 Vayétsé 40 Vayichia’h 40 Vayéchev, la beauté de Joseph 40 Une pomme ne tombe jamais loin de l’arbre 40 Avoda zara 41 Une beauté invisible 42 Page 2 sur 196
Page 3 sur 1963 L’esthétique de l’éthique 43 La beauté de l’Olympe et celle du Sinaï 44 La perfection du corps et de l’âme 44 Mikets 45 Vayigach 45 Vayé’hi 45 3 EXODE 46 Chémot 46 Vaéra 46 Bo 46 Béchala’h 46 Yitro 46 Qu’a « entendu » Yitro ? 46 Yitro : « aucun culte idolâtre ne lui était étranger » 46 Qu’a donc entendu Yitro ? 49 Qu’entend le converti par rapport à celui qui est né juif ? 50 La prise de conscience du temps essence du judaïsme 51 Qu’est-ce qu’être juif ? Descendre et monter ! 52 Michpatim 54 Térouma 54 Tétsavé 54 Ki Tissa 55 Vayakhel, la structuration symbolique du réel 56 La structuration symbolique du temps par le Shabbat pour le transformer un temps humain 57 La fabrication du Mishkane et la structuration symbolique du réel : l’apparition de l’outil. 58 Le Kiyor, puits du narcissisme oblatif féminin 59 La réponse au veau d’or 62 Les choses sacrées et l’Eternel 63 La structuration du réel à partir du néant 64 Page 3 sur 196
Page 4 sur 1964 Pékoudé 65 4 LEVITIQUE 66 Vayikra 66 Tsav, guérir de sa culpabilité 66 La puissance de la culpabilité : serial killers, kamikazes et autres « prophètes apocalyptiques de la fin»… 66 La force du judaïsme ? Nommer le mal 68 Le but des sacrifices ? La justice sociale 70 Le sacrifice et la Téchouva dans le Talmud 71 Le sacrifice des lèvres 74 Chémini 74 Nadab et Abihou, un feu profane 75 Ne fais pas des paroles de la Torah une pioche pour creuser 77 « Vous serez saints, parce que Je suis saint » 79 Tazria 80 Métsora 80 A’haré Mot 80 Kédochim, la sainteté de l’amour 80 « Tu aimeras ton prochain, car il est comme toi » 82 Le malentendu de l’amour 82 Tu aimeras l’étranger 84 Hillel : « ce qui t’est détestable ne le fais pas à ton prochain : c’est là toute la Torah, le reste n’est que commentaire » 85 Tikéou HaMitsvot 85 Emor, Vivre et mourir pour Dieu 88 Du Kiddoush Hachem et du ‘Hilloul Hachem 88 al Kiddoush Hashem 90 Le Kiddoush Ashem dans l’histoire 93 Au temps de buchers 94 San Bénito 95 Page 4 sur 196
Page 5 sur 1965 Le ‘Hilloul Hachem 97 « La Haine de soi et le refus d’être juif » sur le chemin du ‘Hilloul Hashem 98 Le cédrat de souccot 101 Béhar 103 L’année chabbatique et le jubilé 103 Le pouvoir hors limite 104 La punition écologique 105 Bé’kotaïh 105 5 NOMBRE 106 Bamidbar 106 Nasso 106 Sota 106 Le Nazir 109 La bénédiction des Cohanim antidote au Nazir 113 Histoires de cheveux 116 176 119 Béaalotékha 123 L’inscription ontologique d’Israël dans le cosmos 124 L’éternité d’Israël 127 L’unité d’Israël, « Lumière des nations » 129 Les sept yeux de l’Eternel parcourent toute la terre 130 Chéla’h Lékha : les explorateurs de l’inconscient 131 La faute des explorateurs 132 Le lachon hara des explorateurs 133 Ceux qui se voient dans le regard des autres 134 Du complexe d’infériorité à la servitude en passant par la dépression 135 La peur de la peur rend aveugle 136 Les géants et les femmes 136 De l’esclavage d’Egypte à l’enfance au désert 139 La liberté ou l’esclavage 141 Page 5 sur 196
Page 6 sur 1966 Comment sortir d’un complexe d’infériorité ? 141 Kora’h, un autre pouvoir 143 L’idolâtrie ordinaire 143 L’idolâtrie du pouvoir 144 Une erreur sur ce que signifie la sainteté… qui mène à l’idolâtrie 145 Servir ou se servir 147 Modernité de la conception du pouvoir dans la Torah 148 La Royauté biblique, une monarchie qui n’a rien de « droit divin » 149 S’éloigner du pouvoir 150 Où l’on reparle des tsitsit (franges) 151 Le midrash et le processus du rêve 153 Le bâton d’Aaron avait bourgeonné 155 Houkat 156 Balak 156 Pin’has 156 Matot 156 Massé 156 6 DEUTERONOME 157 Dévarim 157 Vaet’hanan, la terre est à Dieu 161 Ne jamais désespérer 161 Pourquoi Moïse n’est pas mort et enterré en erets Israël ? 162 De la terre d’Israël 163 La terre, l’exil, le retour 168 Ekev, par amour 169 Réé 170 Le chemin du Juste et celui du méchant 170 L’idolatrie 173 L’écologie 174 Page 6 sur 196
Page 7 sur 1967 La générosité 175 Choftim 177 « Des juges et des policiers » 177 Un roi… comme tous les autres peuples 177 « La justice, la Justice (tsédaqa, tsédaqa) tu poursuivras » 179 « Tu institueras des juges… dans toutes tes portes » 180 Ki Tétsé 181 Le combat contre les pulsions et la vraie guerre 182 Des péricopes sans lien logique, un seul fil psychologique 182 La limite 187 Amalec, l’homme sans limite 189 Ki Tavo 190 Nitsvatim : la techouva 190 Vayélékh 190 Haazinoi 191 Vézot Habérakha 191 7 POURQUOI ETUDIER LA TORAH ? 192 8 LES 13 PRINCIPES D’INTERPRETATION DE RABBI ISMAËL 196 Page 7 sur 196
Page 8 sur 1968 1 Introduction Didier Long Un jour le Grand Rabbin Haïm Korsia me dit : « eben la pierre c’est av le père et ben, le fils ». Les pierres que Josué fit ramasser dans le Jourdain aux douze chefs des tribus de l’Israël des origines étaient plus que des pierres. Tous tes enfants sont des habitués de la paix de l’Eternel, ne lis pas « tes enfants » (banim) mais « tes bâtisseurs » banaïkh. « Les juifs n’ont pas bâti de magnifiques synagogues, ils ont construit des ponts qui relient le cœur à Dieu » résume Abraham Eschel. Nos sages nous ont enseigné le principe : Maassé avot siman lebanim : « les actions de nos patriarches sont une indication pour leurs enfants » « Cette expression rabbinique à un premier sens, elle dit que ce que les ancêtres ont fait devrait être un exemple pour nous, leurs enfants. Abraham est généreux avec ses mystérieux invités, nous devons faire de même ; Isaac fidèle à l’entreprise de son père au bénéfice de tous, juifs et non-juifs, recreuse les puits de son père et boit à la même source matérielle et spirituelle, nous devons faire de même au profit de toute l’humanité… Mais un second sens, plus profond, a été développé par Nahmanide1 qui affirme que ce concept doit être compris de manière historique : « Kol mah shé’ira laavot siman labanim (Maassé avot siman lebanim) – ‘‘Tout ce qui est arrivé aux pères (les patriarches) est un signe pour les fils’’ : Ce qui est-il arrivé aux patriarches nous arrive aussi à nous ses enfants2 . Sens allégorique donc et réalisation historique du Maasé avot siman 1 Ramban sur Bereshit 12, 6 2 Nahmanide citant le Midrash Bereshit Rabba (Ramban / Bereshit Rabbah sur Genèse 12, 10-20) commente la descente d’Abraham et Sarah en Egypte. Il souligne qu’il existe de nombreux parallèles entre leur aventure et l’exil des juifs en Egypte bien des siècles plus tard… la famine qui entraîne Abraham et sa famille en Égypte est un événement semblable à celle qui entraîne Yaacov et sa famille là-bas,… Avraham craint que les Egyptiens veuillent le tuer et laisser Sarah vivante, ce qui sera réalisé en échos lorsque Pharaon décrètera que les bébés de sexe masculin doivent être noyés dans le Nil et les filles autorisés à vivre…etc… Page 8 sur 196
Page 9 sur 1969 lebanim donc. Nous vivons collectivement ce que les patriarches ont vécu de manière individuelle. Mais cette expression a aussi un sens intime, notre psychisme est structuré par les actes de nos pères. L’obéissance ou non à la Torah crée des psychés ou les laisse s’évanouir vers le néant. Chacun à notre place et à notre mesure nous sommes capables de détruire ou de sauver toute l’humanité. » Page 9 sur 196
Page 10 sur 19610 2 GENESE BERECHIT, L’INSCRIPTION DU NOM DANS LE TEMPS La création de l’homme constitue le sujet le plus mystérieux et le plus ardu de la doctrine juive. En réalité, il ne s’agit pas d’un reportage assistant à la création du premier homme en direct ou d’un récit scientifique, une cosmogénèse expliquant comment le monde a été créé. Ce récit, comme toute la Torah tente de décrire ce qu’est l’homme, tout homme (ou femme) dans les manifestations conscientes et inconscientes de sa personnalité, de son être au monde dans l’histoire, ce que nous appelons aujourd’hui son développement psychologique. Pour le dire autrement deux mots résument toute la Torah Lev Khorma, l’intelligence du cœur. La Torah n’a d’autre but que d’être une pédagogie pour enseigner à chacun de nous l’intelligence du cœur. Celui qui nomme sa création Car, assez curieusement, la Torah ne dit rien de D-ieu lui-même. Seulement de la manière dont il advient à la conscience humaine. Le Talmud nous prévient que la Torah commence non pas par la lettre A mais par le lettre B. La Torah nous parle donc de ce monde et de ce monde tel que l’homme le comprend avec ses propres mots et lettres. Elle ne dit à peu près rien de D-ieu pour la simple raison que celui -ci est inaccessible à l’homme sans commune nature ni mesure. L’Invisible, l’Ineffable, l’Incommensurable, l’Eternel est hors des limites de l’homme. Certes sa parole ineffable se met à portée de voix pour l’homme mais Il reste à perte de vue. Le A du monde reste caché, enfoui dans le langage de l’homme comme une nomination primitive mais le Père du monde s’en est retiré, il ne reste plus que sa trace dans la langage humain qui est la trame de l’inconscient du sujet humain. Dès le départ l’Eternel est celui qui parle le monde de l’homme, celui-ci se constitue comme en miroir de sa parole Yeyi Or vayei Or : « que la Lumière soit, et la lumière fut ». Dieu parle le monde et parle à l’homme mais la Torah nous dit aussi qu’il parle d’un langage que seuls eux connaissent… à la mer, aux pierres, aux arbres ou aux animaux. Page 10 sur 196
Page 11 sur 19611 Le nom de l’homme On sait à quel point en psychologie moderne la nomination est importante dans la construction psychologique de l’enfant. Le nom inscrit l’enfant dans le champs du langage et établit un rapport entre le signifiant et le signifié fondateur de toute parole et du rapport à la vérité ou au mensonge. Le nom comme le souligne le Talmud Berakhot semble contenir un héritage de mérites ou de mauvaises actions. Il souligne : D’où savons-nous que le nom est déterminant ? Rabbi Eliézer dit : « Car le verset a dit : ‘‘Allez, regardez les oeuvres de l’Eternel qui a mis des ruines sur la terre’’ (Ps 46, 9), ne lis pas « ruines » (chamot) mais des « noms » (chémot) ». Et Rabbi Yo’hanan dit au Nom de Rabbi Chim’on ben Yo’haï : « La mauvaise éducation dans sa maison est plus dure pour un homme que la guerre de Gog et Magog » (TB Berakhot 7b) Mais le Talmud souligne aussi que l’héritage psychique ne conditionne que partiellement le destin d’un enfant et des générations. Opposant le : « Il sanctionne la faute des pères sur les enfants » (Ex 34, 7) à « Les enfants ne mourront pas à cause des pères » (Dt 26,6) et résolvant cette contradiction en disant que « le second verset [promet la vie sauve] à ceux qui abandonnent les voies tortueuses de leurs pères ». (TB Berakhot 7a) Dieu est celui qui connait le Nom de l’homme, comme le souligne Rachi commentant le premier verset du Livre de l’exode : « Et ceux-ci sont les noms des fils d’Israël Le texte les a certes déjà comptés de leur vivant en indiquant leurs noms (Gn 46, 8 à 27). Il les compte cependant à nouveau après leur mort pour marquer combien Hachem leur est attaché (Midrach tan‘houma sur Ex 2). Car ils sont comparés aux étoiles, que Hachem fait sortir et rentrer en les comptant et en les appelant par leurs noms, ainsi qu’il est écrit (Is 40, 26) : « Il fait sortir leur légion céleste en les comptant, Il les appelle toutes par leur nom […] aucune n’est manquante » (Midrach tan‘houma). La Torah a brodé à l’infini sur le fait que le spirituel habite le langage humain et jsuqu’aux lettres de l’alphabet. Si l’homme a un nom c’est parce que Dieu l’a nommé. Réalité profondément psychologique puisque la nomination est ce qui nous inscrit dans le cycle des générations. Les ethnologues retrouvent cela quand il remarque que l’interdit commun à toutes les civilisations est celui de l’inceste c’est à dire de la confusion des générations. Page 11 sur 196
Page 12 sur 19612 Le nom inscrit le petit d’homme dans le champs du langage puisque sa nomination initiale le désigne, fait signe de son accrochage dans le réel parlé, lui permet d’entre dans la chaîne signifiante qu’est la conversation humaine. Le nom est un mot de la chaîne des significations humaine. Son énoncé renvoie à l’humain le plus trivial en même temps qu’à la spiritualité la plus profonde. L’ensemble de lettres du nom représente le sujet absolument dans son unité primordiale aux yeux de lui-même (image spéculaire de l’identité) et de la société qui l’épelle et l’appelle. Assez curieusement le Nom du messie selon certaines tradition juives a été créé avant le monde : Sept choses ont été créées avant que le monde fût créé, à savoir : la Torah, la techouva, le Jardin d’Eden, la Géhenne, le Trône de la Majesté Divine, le Temple, et le nom du Messie. Pour le nom du Messie il est écrit : son nom demeurera éternellement, tout comme son nom a fleuri avant le soleil (Ps 72,17) (TB Pessa’him 54a) Les noms de Dieu La pratique juive a ritualisé le fait que l’homme doit devenir une torah vivante en posant chaque matin contre son cœur, entre ses yeux, sur les portes de sa maison des parchemins contenant des parties de la Torah (téfilines). Ainsi, la lettre Chin marquée sur la tefila du front et sur la nuque, mais aussi sur les mezouzot à l’entrée des maisons, symbolise Chaddaï (le Dieu des armées), Dieu Tout Puissant. Le Talmud explique que ce mot contient Daï (« ça suffit! »), Selon le Talmud Chaddaï signifie « qui dit à Son monde assez! » (sheamar le’olamo daï) (TB Haguiga, 14b). Dieu qui limite par sa loi, qui en mettant une barrière à mon besoin par sa Torah pour m’exposer au désir d’autrui et rend possible l’éthique gage du maintien de la fraternité des humains. La lettre Dalet du nœud sur la nuque de la tefila du front signifie lui aussi daï. El Chaddaï est un des noms de l’Eternel, mais il y en a beaucoup d’autres : El Elyon (le Très-Haut), El Olam (l’Eternel), El Gibbor (Le Puissant). Et bien sur les 13 attributs divin de ses Noms que D. déroule devant Moïse : Rahoum (Celui qui prend en Page 12 sur 196
Page 13 sur 19613 pitié, cf Rakhem !), Hannoun (Celui qui fait « Grâce »), Tsaddiq (le Juste), Dayan (le Juge). Ces signifiants sont comme le doigt qui désigne la lune, ils qualifient ce que nous ressentons, comme « de loin », mais ne peuvent être confondus avec le signifiant ultime. Dans la Sidra Bereshit, on découvre un D-ieu très étrange qui crée l’Univers en dix paroles comme en écho aux dix paroles/ commandements du Sinaï. Ce que D-ieu dit jailli immédiatement dans l’être. Ensuite, l’Eternel crée l’homme a son image… ce qui de prime abord pourrait sembler une projection idolâtrique dans le divin de la finitude humaine et de nos frustrations. Paradoxe étrange. Car si Dieu est absolument hétérogène et incompréhensible à l’homme ou définissable uniquement par ce qu’il n’est pas (apophatie) comment pourrions-nous en dire quoi que ce soit et même le prier. Et en quel langage ? Pourtant, et c’est un paradoxe, dans la Torah D-ieu est décrit dans des termes humains. Trop humains ? On remarque dans la Sidra Berechit que Dieu parle à l’homme mais il parle aussi aux cieux et à la terre, aux animaux ou aux pierres dans une langue qu’eux seuls connaissent et que cette parole créatrice de Dieu les fait émerger dans l’existence. Le langage limité devient un espace d’émergence de l’Incommensurable tel que le nomme souvent Maïmonide. Comme si les mots de ce monde étaient une sorte d’écho de son Nom unique. AShem, le Nom est bien sûr une des principales manières de désigner Dieu, un mot truqué puisqu’il vient du Grec théos et que cette conception du divin qui signifie « ce qui est propre aux dieux » n’a rien à voir avec le Dieu de la Bible puisque celui-ci par définition est UN car il ne fait pas nombre avec ses créatures dont il diffère radicalement. Dans les Pirqé de Rabbi Eléiézer un très ancien Midrach, au chapitre 3 il est dit : « Avant la Création de l’Univers il n’existait que le Saint béni soit-Il et son Nom seul » Ce que dit la Torah à l’homme c’est donc que l’Eternel se révèle dans le langage, au fond de son inconscient, pas parce que le langage serait sacré mais parce que celui- ci est le lieu d’émergence et la condition de possibilité pour que D. appelle l’homme de son néant, son Tohu. Page 13 sur 196
Page 14 sur 19614 Quel est le contraire du langage ? Le silence ? La Torah dit que ce néant est désigné par le « Tohu Bohu » en Gn 1,2 : « La terre n’était que « solitude et chaos » (Tohu vavoou ). Ce terme Tohu n’existe que deux fois dans la Torah. On le retrouve en Dt 32, 10 : « Il le rencontre dans une région déserte, dans les solitudes (tohu) aux hurlements sauvages; il le protège, il veille sur lui, le garde comme la prunelle de son œil. » Le tohu c’est ce cauchemar de l’homme où le langage ne signifie plus rien, devient insignifiant, quand on en peut plus se parler, le début de la haine . Nous serions donc tirés de notre chaos mental et spirituel par la Parole de D-ieu, Son souffle (ruah’) qui nous appelle par notre nom que lui seul connait, tirés de la terre où nous retourneront inévitablement comme dit Berechit à propos de la création d’Adam. La femme, elle-aussi sort de la torpeur, du sommeil d’Adam, comme dit Berechit à propos de la création de la femme. Et c’est seulement à partir de ce moment qu’ils sont ish et isha (féminin et masculin), des mots en miroir, en rapport, formant dans le couple humain un seul être parlant (ehad) à l’image du D. UN qui leur a parlé le premier dans son infinie générosité, par amour. Un passage mystérieux du Talmud dit : « Rav Shemouel bar Ounia dit au nom de Rav : la femme est informe (golem) et elle ne tranche d’alliance qu’avec celui qui fait d’elle un objet, un keli (un mot qui signifie « outil » ou « récipient »), comme dit le verset « car celui qui s’unit à toi te façonne, Dieu des armées est son Nom (Is 54, 5) ». » (TB Sanhédrin 22b) Le cabaliste Moïse Cordovedo commente : « L’homme se tient entre deux dimensions féminines, la dimension féminine d’en bas, matérielle, qui prend de lui nourriture, vêtements et intimité, et la Présence Divine, la Chekhina, qui se tient au-dessus de lui pour le bénir en tout, pour qu’il donne et donne encore à la femme qui fait alliance avec lui. » (Tomer Devora ch.9 ) En clair c’est la femme non achevée (golem) qui fait de l’homme un homme en le recevant dans l’alliance avec lui qui fait signe d’une alliance encore plus grande dont l’alliance avec la femme est la condition. L’homme sans la femme ne mérite pas le nom d’homme dit le Traité Ketouboth. Page 14 sur 196
Page 15 sur 19615 Comme si le langage humain, proféré par le souffle de l’Eternel puis en interactions entre l’homme et la femme appelait l’être humain et chacun de nous à notre vocation spirituelle d’être enfin un peu humain, détachait l’homme de la terre pour l’inscrire dans la position verticale de la Amida, debout entre ciel et terre, avec ses tefilins. Faisons l’homme à notre image Maïmonide au Moyen-Age explique ce mystère du fait que le langage humain est utilisé par la Thora pour décrire l’Eternel de manière apparemment naïve, dans sa discussion sur les attributs divins dés le début de son Guide des égarés (écrit en arabe avec des lettres hébraïques). Il est bien sûr en discussion, à partir des concepts Aristote avec les philosophes arabes et chrétiens. Relisant le Naassé Adam Betsléémnou, « Faisons l’homme à notre image » (Gn 1,26), il évite d’emblée la vision naïve, créationniste qui projette la réalité humaine dans le Divin. « II y a eu des gens, qui croyaient que tcélem, dans la langue hébraïque, désignait la figure d’une chose et ses linéaments, et ceci a conduit à la pure corporification (de D-ieu), parce qu’il est dit (dans les Ecritures) : « Faisons un homme à notre image (betçalmenou) selon notre ressemblance (Gn 1, 26). Ils croyaient donc que D-ieu avait la forme d’un homme, c’est-à-dire sa figure et ses linéaments, et il en résultait pour eux la corporification pure qu’ils admettaient comme croyance, en pensant que, s’ils s’écartaient de cette croyance, ils nieraient le texte (de l’Ecriture) ou même qu’ils nieraient l’existence de D-ieu s’il n’était pas (pour eux) un corps ayant un visage et des mains semblables aux leurs en figure et en linéaments » (Guide des égarés I, 1, « L’homonymie de Tcélem », traduction de l’arabe de Salomon Munk, pg. 29). et il dit plus loin : Quand nous disons de D-ieu qu’il est la forme dernière du monde, ce n’est pas comme la forme ayant matière est une forme pour cette matière, de sorte que D-ieu soit une forme pour un corps. Ce n’est pas ainsi qu’il faut l’entendre, mais de la manière que voici : de même que le forme est ce qui constitue le véritable être de tout ce qui a forme, de sorte que, la forme périssant, l’être Page 15 sur 196
Page 16 sur 19616 périt également, de même D-ieu se trouve dans un rapport absolument semblable avec tous les principes de l’être les plus éloignés; car c’est par l’existence du Créateur que tout existe, et c’est lui qui en perpétue la durée par quelque chose qu’on nomme l’ »épanchement » […]. Si donc la non-existence du Créateur était inadmissible, l’univers entier n’existerait plus, car ce qui constitue ses causes éloignées disparaîtrait, ainsi que les derniers effets de ce qui est intermédiaire; et, par conséquent, D-ieu est à l’univers ce qu’est la forme à la chose qui a forme et par là est ce qu’elle est, la forme constituant son véritable être. Tel est donc le rapport de D-ieu au monde, et c’est à ce point de vue qu’on a dit de lui qu’il est la forme dernière et la forme des formes; ce qui veut dire qu’il est celui sur lequel s’appuie ne dernier lieu l’existence et le maintien de toutes les formes dans monde, et c’est par lui qu’elles subsistent, de même que les choses douées de forme subsistent par leurs formes. Et c’est à cause de cela qu’il a été appelé dans notre langue, hay âolamim, ce qui signifie qu’il est « la vie du monde ». (Guide des égarés I, 69, « La Cause première », traduction de l’arabe de Salomon Munk, pp. 167-168). On le comprend pour Maïmonide, D. n’est pas le plus haut ou le plus puissant des étants mais la condition même de possibilité de ceux-ci. Et cet à-priori du monde phénoménal ou plutôt de la vie (hay âolamim), et là Maïmonide quitte le registre de l’ontologie (la science de l’Etre, avec des échos dans le Eyé acher Eyé « Je suis qui je suis/ serai » car ces mots indiquent une action inaccomplie, en devenir) aristotélicienne pour parler en terme de vie. C’est pour cela que la Torah utilise le langage anthropomorphique, car elle parle de la psyché humaine et non pas une langue céleste des anges qui de toute manière serait inaccessible à l’homme. « La torah n’est pas aux cieux » résume l’adage talmudique, elle parle le langage des hommes. Le Talmud se plait à rapporter dans le traité Berakhot3 que « Dieu fulmine chaque jour » (Ps 7, 12) et de demander « Quelle est la durée de l’ire divine ? ». Quel est le temps consacré par Dieu à cette colère « -un instant. Et plus précisément ? un cinquante-huit millième et huit cent quatre-vingt- huitième d’heure ». Bref D-ieu passe plus de temps à aimer qu’à se courroucer. Maimonide au début de son Guide des égarés insiste longuement pour dire que ces attributs de Dieu à commencer par son nom ne sont que des images pour l’homme, pour indiquer à l’homme ce qu’il doit être. 3 Berakhot 7a Page 16 sur 196
Page 17 sur 19617 Rachi s’empare de sa plume pour commenter « dans tous ses chemins »4 en disant : « Ou Rakhoum veata te Rakhoum : (D-ieu) est miséricordieux pour que tu sois miséricordieux. Ou gomel Hassadim veata tigmol hassadim : Lui (D-ieu) est généreux, et toi, sois généreux ». La Torah est donc d’abord un pédagogue qui raconte le chemin de l’homme, ce qu’est une vie pleine et une humanité réalisée en vérité. Homme et femme il les créa « Et l’homme dit: « Celle-ci, pour le coup, est un membre extrait de mes membres et une chair de ma chair; celle-ci sera nommée Icha, parce qu’elle a été prise de Ich. » C’est pourquoi l’homme abandonne son père et sa mère ; il s’unit à sa femme, et ils deviennent une seule (ehad) chair. » (Gn 2, 2 »-24) La conception juive du couple humain diffère profondément de celle des Nations. Le midrach Rabba explique : Rabbi Pin’has et Rabbi Helkia au nom de Rabbi Simon ont dit : de la même manière que la Tora a été donnée dans la langue sainte (c’est-à-dire l’hébreu), de la même manière le monde a été créé avec la langue sainte. A-t-on déjà entendu « Gynie », « Gynia » (en grec)?!, « Anthropi », « Anthropa » (en grec)?!, « Gavra », « Gavreta » (en araméen)?! Mais seulement (en hébreu) : « Ich » et « Icha » Pourquoi ? Car l’hébreu utilise la même racine pour désigner l’homme et la femme. (Midrach Rabba sur Gn) L’araméen distingue Gavra et Itata et le grec Anthropé et Gyné. L’hébreu a fait de ich (le masculin) un miroir de icha (le féminin). Dieu ne créé par l’homme et la femme, mais Adam, l’Homme qui est féminin et masculin. Rachi commentant le premier récit de création de l’homme le met en lien avec le second : Mâle et femelle Il les créa : Alors qu’il est écrit plus loin : « Il prit un de ses côtés… » (infra 2, 21). Voici ce qu’enseigne le midrach (Beréchith raba 8, 1, ‘Erouvin 18a) : Il a commencé par le créer avec deux visages, puis Il l’a divisé en deux. 4 Rachi sur Dt 11, 22 Page 17 sur 196
Page 18 sur 19618 La chair ehad c’est l’enfant né de leur union dit Rachi. Mais on peut aussi lire que le couple humain vit une réalité paradoxale, la volonté de faire Un et en même temps l’impossibilité ce cette fusion totale. Ils s’unissent donc et se repoussent tout à la fois. Dans cet « entre deux » se glisse la possibilité de la parole. Et donc de la vérité ou du mensonge. Sans cet espace entre l’homme et la femme il n’y a pas de parole possible mais cette parole est aussi une nostalgie d’une unité perdue et régulièrement retrouvée. « L’homme abandonne son père et sa mère », cet interdit de l’inceste permet, selon une autre interprétation, que l’union de l’homme et de la femme produise un enfant (ehad), un autre Un donc. L’inscription dans le cycle des générations va de l’Un à l’un en passant par la dualité du couple. « L’Éternel-Dieu dit: « Il n’est pas bon que l’homme soit seul; je lui ferai une aide digne de lui. » » Gn 2, 18 L’homme est seul et cette solitude peut s’opposer à l’Unité de Dieu comme le souligne Rachi : Pour qu’on ne dise pas qu’il y a deux autorités : le Saint béni soit-Il en-haut, seul et sans compagnon, et l’homme ici-bas, seul et sans compagnon (Pirqé deRabi Eli‘èzèr 12). Ehad veut dire parfait, chalem, cheni signifie deuxième qui vient de choné chinouille c’est ce qui change, qui diffère. Il faut donc ajouter un deux au un pour que l’homme ne se prenne pas pour une dieu. Tout est contenus dans le Yom ehad, le jour un, il y a tout. L’homme est donc en danger sans son vis-à-vis il risque de se croire pouvoir réaliser l’unité de Dieu. Il lui faut une femme avec il va pouvoir réaliser l’unité le ehad qui est en Dieu. Nous apprenons là une réalité importante : Toute la tradition insiste sur cette ambivalence du couple. La femme ne sera profitable à l’homme que s’il a du mérite : « Une aide qui soit face à lui Si l’homme a du mérite, elle lui sera une aide. S’il n’en a pas, elle sera contre lui et le combattra » (Beréchith raba 17, 3. et Yevamoth 63a). Page 18 sur 196
Page 19 sur 19619 Pour la tradition juive « L’épouse d’un homme est comme son propre corps. » (Talmud Menahot 93b, Bekakhot 35b). Et le Zohar déclarera au Moyen-Age : « un homme seul, ou une femme seule, n’est que la moitié d’un corps » (Zohar III 7b, 109b, 296a) Cela peut sembler une évidence en occident aujourd’hui. C’était une révolution dans un monde où l’on vendait sa fille en mariage dans le monde romain. Cette conception juive est un scandale dans de nombreuses cultures aujourd’hui encore. Cette tradition d’égalité de l’homme et de la femme est à la racine de notre culture et de notre imaginaire sexuel et sexué. L’action à l’unisson (Ehad) du couple humain est l’image de Dieu en ce monde nous dit Berechit. Cette croyance est révolutionnaire. Dans un monde où l’homme est un animal naturellement polygame, qui considère le sexe faible comme un objet social d’union de tribus (qu’on pense à la condition de la femme en Islam et dans la plupart des régions du monde !), ou comme objet de marchandage, ‘intéressant’ pour sa fécondité et sa jeunesse et sa capacité à satisfaire la pulsion sexuelle violente de l’homme. Les feux de l’amour Cependant sans référence à son créateur l’union du couple n’est pas garantie. Le Midrach sur Job explique : Adam » Rabbi Josué ben Qor’ha réplique : « Il fut appelé Adam du fait de sa chair et de son sang » Il lui dit : « Adam ! Adam ! » Mais lorsqu’Il lui eut bâti une aide féminine, l’un et l’autre furent appelés Eich (feu) Que fit le Saint béni soit-Il ? Il mit Son nom entre les leurs en disant : « S’ils marchent dans Mes voies et observent mes commandements, Mon non sera partagé entre eux et il les délivrera de toutes les afflictions ; mais s’ils s’en écartent, j’enlèverai Mon nom d’entre les leurs et ils deviendront feu (Eich) et feu (Eich) car le feu dévore le feu, comme il est dit : « C’est un feu qui dévore jusqu’à Abadone (l’extermination totale) (Midrach Job 31, 12) Selon l’adage talmudique « Homme (Yich) et femme (ichaH), YaH est parmi eux ». Si on retire le Youd de ich et le Hé de icha on obtient Yah (Dieu) et il reste ech (le feu). Page 19 sur 196
Page 20 sur 19620 Donc si on en enlève le rapport à Dieu dans le couple il est détruit pas son feu. Sans rapport à Dieu la maison brûle. Le Cantique des Cantiques nous confirme cela : Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras, car l’amour est fort comme la mort, la passion terrible comme le Cheol ; ses traits sont des traits de feu, une flamme divine (Chalvété-Ya). Des torrents d’eau ne peuvent éteindre l’amour, des fleuves ne sauraient le noyer. Quand un homme donnerait toute la fortune de sa maison pour acheter l’amour, il ne recueillerait que dédain. (Ct 8, 6-7) La Torah a compris cette ambivalence de la passion, sa capacité de destruction pulsionnelle dévorante. Comme si la mort et l’amour se rejoignaient en leurs extrêmes, comme si l’eau et le feu ne pouvaient s’éteindre en lui à cause de sa nature transcendante, incorruptible, d’une valeur au-delà de toute les valeurs qui les surpasse et se perd en Dieu. Le désir horizontal entre deux individus ne peut se structurer sans un rapport vertical à Dieu. Sinon il devient rapidement une lutte en miroir entre deux égos qui entrent en résonnance et n’ont pas de raison de s’accepter. L’homme, gardien du temps La Torah ne nous dit à peu près rien du Créateur mais d’autre part elle ne nous en dit pas plus concernant la naissance de l’univers lui-même. Rachi le grand commentateur du XIIème siècle, certainement pas un Am haaretz5 mais pourtant un homme de la terre vigneron de profession, nous prévient d’une lecture terre à terre, « créationniste », le nez collé sur le texte. Quand il commente le premier mot de la Torah, bereshit, qui a donné son nom au Livre de la Genèse, Rachi s’étonne et nous prévient que nous devons éviter une lecture naïvement historique -en clair qui concernerait un lointain passé dont on nous informerait mais qui en changerait absolument rien pour nous ici et maintenant ! : 5 C’est ainsi que le Talmud appelles les ignorants, des paysans ! Page 20 sur 196
Page 21 sur 19621 « Au commencement Rabi Yits‘haq a enseigné : La Tora, [en tant qu’elle constitue essentiellement un code de lois], aurait dû commencer par : « Ce mois-ci est pour vous le commencement des mois » (Ex 12, 2), puisque c’est par ce verset qu’est édictée la première mitswa prescrite à Israël. Pourquoi débute-t-elle avec Berechit (litt. « dans la tête », au commencement) ? » Exit donc une théorie alternative au Big bang. Le juif n’est pas le gardien du temps au sens du chronos de la montre mais du shabbat, des lunaisons des mois ou néoménies (Roch Hodech). Le temps d’Israël est celui de la liberté et son premier jour est celui de la Sortie d’Egypte. La sortie d’Egypte est le temps fondateur du peuple juif. Et Rachi poursuit curieusement en citant un psaume qui lui permet de replacer la discussion au niveau de la possession de la terre d’Israël : « La puissance de Ses hauts faits, Il l’a révélée à Son peuple, en lui donnant l’héritage des nations » (Psaume 111, 6). Ainsi, si les nations du monde viennent à dire à Israël : « Vous êtes des voleurs, vous avez conquis les terres des sept nations ! », on pourra leur répondre : « Toute la terre appartient au Saint béni soit-Il. C’est Lui qui l’a créée et Il l’a donnée à qui bon lui a semblé. (Cf. Jr 27, 5). C’est par Sa volonté qu’Il les a données à ces peuples, et c’est par Sa volonté qu’Il les leur a reprises et qu’Il nous les a données ! » (Yalqout chim‘oni, Bo 187). Pourquoi quand Rachi parle de la création renvoie-t-il à la possession de la terre ? Car pour la Torah la terre n’appartient pas à l’homme et aux Nations pas plus qu’eretz Israël n’est à Israël. La terre est à Dieu et à lui seul. Et Israël ce petit peuple d’esclaves libérés d’Egypte la nuit de Pessah est justement un « peuple sans terre » en marceh vers sa terre promise, mais pour qui la condition de possession de la terre n’est pas le terra patria gréco-romaine, la terre des pères léguée de père en fils et idolâtrée, mais une terre dont la condition est la Torah. Le lieu, la terre de l’homme, sa place, c’est son comportement. Et c’est de ce comportement que discute la Torah. Toute l’histoire d’Israël -et les Prophètes n’auront de cesse de le crier- est conditionnée par son rapport à la Torah. Quand Israël quitte sa Torah, Dieu l’exile loin de sa terre. Le retour vers la terre d’Israël, la teshouva est un retour physique et spirituel, un retour à la Torah, Page 21 sur 196
Page 22 sur 19622 l’enseignement éthique d’Israël. Le topos d’Israël n’est pas physique mais spirituel, au siège de la conscience. La nuit de la création doit donc être comprise dans la lumière de la nuit de Pessah, de la nuit du mont Moryia… l’Eternel est cette Lumière qui illumine la nuit spirituelle de l’homme, son incapacité à être dans la circularité fermée de son inconscient opaque, son premier mot le définit. Il est cette Lumière dans la nuit qui rend le monde visible, possible. On pourrait dire qu’avec la Genèse commence l’histoire non seulement de toute humanité individuée, mais aussi le destin de toute l’humanité comme un personne qui naîtrait avec Adam, grandirait avec ses premiers conflits psychiques et révoltes (le premier péché), sa violence (le meurtre d’Abel par Caïn, la tour de Babel), vieillirait (Noé) puis mourrait (Le déluge). Du début à la fin des temps c’est un seul homme à qui est proposée la responsabilité de la Torah comme elle est proposée à chacun de nous. Entre le premier jardin et la dernière ville, du jardin d’Eden à la Jérusalem de la Géoula la tâche de l’homme est de construire non pas un monde mais l’humanité. La Torah nous explique que par ses propres forces l’homme est incapable de D- ieu. C’est l’Eternel qui a choisi de se manifester par le langage des hommes dans son temps fini. Et c’est parce que Dieu l’a fait le premier que l’homme peut lui répondre dans un mouvement descendant et ascendant que symbolisera l’échelle de Jacob. Rechercher la vérité, la tâche de l’homme De ce fait, nos Sages se sont penchés sur ce chapitre et l’on abondamment commenté. Le Maharal de Prague rapporte : Rabbi Néhémia écrit : « D’où savons-nous qu’un seul homme équivaut à toute la création ? Il a été dit en effet : « C’est le livre de l’histoire de l’homme » (Gn 5,1) Autrement dit, ce livre de la Genèse qui parle de la création du monde est le livre de l’histoire de l’homme. Celui-ci est par conséquent le couronnement de la création. Il a été dit encore (Gn 1, 27) : « A l’image se D. il l’a créé » Il a été Page 22 sur 196
Page 23 sur 19623 dit davantage encore en ce qui concerne la création de l’homme : « Tu l’as fait de peu inférieur à ceux qui sont de condition divine » (Ps. 8,6)6 Cette élévation de l’homme est soulignée par un midrach7 qui se demande pourquoi dans le récit de la Genèse, D-ieu dit : « Faisons l’homme à notre image » (Gn I, 26). Pourquoi « faisons » au pluriel … D-ieu était il « accompagné » ? Que signifie ce pluriel. Forcément il s’agit des anges. Et le Midrach se demande quel rôle ils ont joué en imaginant un sorte de dispute entre eux qui laisse l’Eternel perplexe : Parole de Rabbi Simon: » Quand le Saint-béni-soit-Il s’apprêta à créer le premier homme les anges du service ne furent que factions et clans : « crée le, lançaient les uns ! », « ne le crée pas lançaient les autres ! » ainsi qu’il est dit (Ps 85, 11): « L’amour (Hessed) et la vérité (Emet) se rencontrent, la justice (tsedaka) et la paix (shalom) s’embrassent. » L’amour a déclaré : « Qu’il soit créé, car il pratique le Hessed (l’amour, la générosité) ». La vérité a déclaré: « Qu’il ne soit pas créé, car il est tout entier mensonge ». La justice a dit : « Qu’il soit créé car il accomplira des actes de justice ». La paix déclara : « Qu’il ne soit pas créé, car il est tout entier conflit. » Que fit le Saint-béni-soit-Il ? Il se saisit de la vérité et la jeta à terre ce qu’exprime le verset (Dan 8, 12) : « Il jeta la vérité à terre ». Alors les anges de service protestèrent devant le Saint-Béni- Soit-Il: « Maître du monde, comment peut tu humilier ton sceau de vérité ? ». Il répondit: « que la vérité se lève de la terre » comme il est écrit : « La vérité germera de la terre, [et la justice brillera du haut des cieux.] » (Ps 85, 12). Le Maharal de Prague8 commente le Midrach précédent dans son traité Nétivot Olam, Les sentiers de l’Eternité. En expliquant le « faisons l’Homme à notre image » et le fait que Dieu jeta la Vérité à terre. 6 Aboth dé Rabbi Nathan, chapitre 31 7 Midrach Genèse Raba, 8, 5 8 Le Maharal de Prague, Rabbi Yéhouda ben Bezalel Lowe, est un des grand maîtres juifs de la Renaissance. Né en 1526, probablement à Posen il meurt en 1520 – 1609 il laisse dans les dernières années de sa vie une œuvre exégétique, spirituelle, astronomique qui est celle d’un génie de la Renaissance à la hauteur de celle d’un Maïmonide au Moyen-Age, il vécut à Prague à l’heure de l’astronome Kepler. La légende lui attribue l’invention du Golem. Page 23 sur 196