La Fraternité.


La Fraternité

1 Sommaire

1 – La Fraternité Maçonnique, Mythe ou Réalité ? …………………………………………………………………… 3

2 – Fraternité Maçonnique : Droits et Devoirs …………………………………………………………………………. 5

3 – La Fraternité Maçonnique………………………………………………………………………………………………… 8

4 – La Fraternité…………………………………………………………………………………………………………………. 11

5 – Egrégore… Chaîne d’Union et fraternité invisible… …………………………………………………………… 15

6 – La ou les Fraternités ? ……………………………………………………………………………………………………. 18

7 – De la Perpendiculaire à l’Amour Fraternel ……………………………………………………………………….. 25

8 – Caïn et Abel, épreuve de la fraternité ………………………………………………………………………………. 28

9 – La Fraternité en Loge…………………………………………………………………………………………………….. 33

10 – Elevons nos Cœurs en Fraternité… ……………………………………………………………………………….. 35

La Fraternité 2 1 – La Fraternité Maçonnique, Mythe ou Réalité ?

La force d’une association réside essentiellement dans la cohésion de ses membres. Plus ils sont unis, et plus ils sont puissants. En maçonnerie, l’union n’est point l’effet d’une discipline imposée, elle ne peut naître que de l’affection que ressentent les initiés les uns pour les autres. Il est de la plus haute importance de contribuer par tous les moyens à resserrer les liens qui unissent les Maçons.

Oswald WIRTH

La fraternité implique les notions de tolérance, d’affection, et aussi dans une certaine mesure : de charité, d’indulgence, de fidélité et de communion.

De manière concrète elle se manifeste par une attention profonde d’un frère à l’égard de son semblable. Une écoute respectueuse de propos que l’on ne partage pas forcément, une aptitude à prononcer une parole réconfortante, à agir avec un élan d’affection au moment opportun. Savoir proposer sans vouloir imposer, savoir être présent sans jamais être pesant.

La structure de la loge maçonnique est favorable à l’épanouissement du comportement fraternel. Les bons sentiments d’un jeune initié vis à vis de ses frères se transformeront vite, s’il entend bien l’art, en véritable sentiment fraternel. Mais cette affection ne peut être immédiate, il faut laisser le temps agir pour que les liens s’établissent.

Les liens ainsi créés vont nous rapprocher les uns des autres. Nous ne serons plus des étrangers car nous aurons pris le temps de nous connaître. Mais cela ne suffit pas pour faire de nous des frères. Il nous faudra faire preuve d’humilité, car les différences apparaîtront et il faudra bien les accepter pour aller de l’avant dans l’échange de relations fraternelles. Les accepter sans les juger, car les jugements prennent souvent un caractère définitif, et toutes choses « définitives » créent des limites qui ont pour effet de réduire la liberté de chacun.

Il faut parfois abandonner nos convictions pour nous mettre entièrement à l’écoute de l’autre, il faut accepter que notre frère ne soit pas ce que nous aurions souhaité qu’il soit, il faut renoncer à notre propre idéal de la fraternité pour reconnaître qu’il en existe d’autres, différents, mais ayant tout autant leurs raisons d’être.

Cette disponibilité soudaine vis-à-vis de personnes venues d’ailleurs et que nous avons acceptées comme frère est génératrice de sentiments de bien-être. Ces sentiments sont sécurisants et nous font réaliser que tous les hommes, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent sont nos frères.

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3 Les Stoïciens de l’antiquité l’avaient bien compris. En condamnant l’esclavage, ils reconnurent la communauté d’origine des hommes et leur participation à l’universelle raison. Les Chrétiens, en associant fraternité et charité, ont développé le coté sentimental de la fraternité. Plus sélective et élitaire : la chevalerie moyenâgeuse, avec la « Fraternité d’armes », a mis en exergue les liens tissés par ceux qui ont lutté pour la même cause. Il s’agissait d’un engagement à se défendre l’un l’autre envers et contre tout, à se garder une foi inviolable et à tout faire pour mériter cette foi.

Ce dernier exemple est frappant car il fait état d’une fraternité absolue et sans limites. Cette fraternité-là serait-elle un mythe ?

En Maçonnerie, nous avons l’habitude de donner une mesure à toutes choses et à refuser les dogmes. La fraternité Maçonnique est bien une réalité mais elle a, comme toute manifestation, ses propres limites.

Ces limites, nous les fixons nous-mêmes, elles dépendent de la sincérité de notre engagement. La maçonnerie propose et l’homme dispose : libre à chacun de progresser, libre à chacun d’accepter ou de refuser les richesses qui lui sont offertes, libre à chacun de collaborer à l’accroissement du patrimoine commun et de son propre patrimoine.

La loge sera ce que nous en ferons, chacun est responsable de ce qu’elle deviendra par sa propre participation positive ou négative. Agir pour l’intérêt de tous, travailler individuellement pour tenter de créer un idéal de vie. Il faut apporter pour recevoir, continuellement se remettre en question pour conserver le caractère initiatique de notre démarche, se souvenir que notre fierté est de créer l’unité dans la diversité et pour ce faire, utiliser le langage du coeur, persévérer dans notre démarche et ne pas oublier que nous avons des outils pour nous aider à rechercher la vérité. Le rayonnement de la loge dépendra de notre volonté de persévérer dans la recherche de la connaissance, afin d’être présent sur la scène de l’action. Rester humble, agir sans passion, ne pas démolir, mais transformer et construire, ne pas mal juger, mais aimer, agir pour le bien de tous. Nous hériterons de la loge que nous construirons, nous hériterons du monde que nous construirons…

Pour agir dans cet esprit, la fraternité doit demeurer notre acte de foi afin de donner un sens à notre démarche. De la participation active de chacun des Frères dépend l’importance de la notion de réalité qui caractérise les relations fraternelles établies au sein de l’atelier.

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4 2 – Fraternité Maçonnique : Droits et Devoirs

« Mon Frère, car dorénavant vous ne recevrez plus d’autre qualification parmi nous ».

C’est par ces paroles que, moi, nouvel initié, ait, tout comme vous, été accueilli par le vénérable Maître de ce que l’on désigne notre Loge Mère.

Mon Frère ! Et pourtant avant cette cérémonie initiatique, comme tous, j’ignorais jusqu’à l’existence de la plupart des hommes qui m’entoureront au fil des ans.

« Mon Frère approchez vous et recevez de moi l’accolade fraternelle, au nom de tous les Frères de cette respectable Loge. ».

Que s’est-il passé ? Bien sûr, j’ai ressenti et je ressens toujours la chaleur, l’émotion partagée par tous à ce moment, mais n’étais-je pas déjà le frère de tout homme, quelques soient son origine et sa couleur ?

« Homme, je suis Homme et rien de ce qui est Humain ne m’est indifférent » disait Térence. Homme, je me fonds dans la grande famille des Hommes, dans cette Fraternité Universelle chantée par Lamartine et hissée au même rang que la liberté et l’Egalité dans la Trilogie Révolutionnaire de la République.

Que s’est il passé ? Qu’est-ce au reste que cette fraternité ?

La première notion qui vient à l’esprit est celle de la fraternité de sang : Est mon Frère celui qui, comme moi, est né du même père et/ou de la même mère. La genèse nous apprend que, sitôt que 2 frères sont apparus sur la terre, ils sont entrés en compétition, se sont livrés à la division, à la jalousie et à la violence.

On parle aussi de fraternité de race, de fraternité de classe ou de religion, car l’Homme ne peut ne pas vivre dans l’altérité absolue, il a besoin d’alliés et va se rapprocher d’autres hommes qu’il juge moins dissemblables et les accepter pour frères.

Ces notions ne sont conçues que pour nous unir, nous protéger contre « l’Autre », le « Différent » vu comme un satellite de notre propre existence pour mieux le dominer et nous conforter dans le sentiment de notre propre supériorité.

On a vu jusqu’où le refus de cette altérité peut nous conduire lorsqu’il est poussé jusqu’à la conséquence ultime : le Meurtre et le génocide.

« Vous ne voyez plus d’épées menaçantes tournées contre vous…Vous n’apercevez que des frères formant une chaîne qui symbolise l’union de tous les Francs Maçons répandus à la surface de la terre… Nos mains vous unissent à nous et à l’autel de la vérité. »

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5 Qu’est-ce donc que la Fraternité Maçonnique ? Je la crois concentrée dans ces phrases du rituel du 1 er degré :

« La chaîne est le symbole de l’union » Le mot symbole veut dire signe ou marque qui rassemble un ensemble d’idées qui ne tombent pas sous le sens.

Symbole rassemble, Diabole divise, ce mot est composé avec le préfixe « Dia » qui est le nombre deux en grec.

Cela m’amène à réfléchir sur une autre phrase de l’instruction de l’apprenti :

« La raison divise et borne artificiellement ce qui est un et sans limites. L’unité est ainsi partagée en deux extrêmes auxquels les mots seuls prêtent une fausse apparence de réalité… Il convient donc de ramener le binaire à l’unité par le moyen du nombre trois. »

D’ou la phrase qui en découle :

« Nos mains vous unissent à nous et à l’Autel de Vérité »

Le principe trinitaire de la fraternité doit unir ce que la dualité divise.

Gardons nous en loge, que la fraternité ne soit qu’un mot, une fausse apparence de réalité .

La prédisposition des hommes à l’agressivité, leur penchant naturel à la lutte et la compétition, les oppose à tous les instants, conséquence d’une vie sociale à laquelle il faut faire face. Ces tendances agressives sont nécessaires à l’individu pour sa survie dans le monde profane. Cependant il aspire à une sympathie profonde et naturelle qui l’aiderait à surmonter les vicissitudes de la vie en commun. L’article 1 de notre règle en douze points nous dit :

« La Franc Maçonnerie est une Fraternité initiatique qui à pour fondement la foi en Dieu, grand architecte de l’univers ».

Les Maçons, dépouillés de leurs métaux, pareils à l’Adam d’avant la chute, pénètrent dans le Temple, Enceinte Sacrée et hors du temps comme dans un nouvel Eden dont on leur aurait ré-ouvert les portes. Dès lors, la Fraternité peut apparaître comme naturelle entre eux. Il ne s’agit pas là de la seule chaleur, de la seule sympathie basée sur une vague tolérance, mais d’une volonté constante à surmonter ses penchants naturels, qui nous oblige à une éducation sociale rigoureuse à entreprendre sur nous-mêmes.

En m’insérant pour la première fois dans la Chaîne d’union le jour de mon initiation, le Vénérable Maître m’a dit : « Nos mains vous unissent à nous et a l’Autel de Vérité, leur étreinte vous annonce que nous ne vous abandonnerons pas ». Quoiqu’il puisse m’arriver, c’est promis solennellement, mes Frères ne m’abandonneront pas ! Tous mes Frères, aussi bien celui qui m’est proche, avec qui je partage joie et peines dans une chaleureuse amitié, que cet autre, plus discret, plus secret, dont je ne sais presque rien , présent épisodique sur les colonnes, et cet autre encore que je ne connais pas, qui vit loin de moi, de ma ville, de mon pays. Tous ne m’abandonneront pas, je peux baisser ma garde, ouvrir les bras, j’ai trouvé des Frères.

Attention ! Il ne s’agit que du premier terme du contrat, voici le second : « Nous ne vous abandonnerons pas aussi longtemps que la Vérité, la Justice, la Discrétion et l’Amour Fraternel vous resteront sacrés. » Est sacré ce qui inspire un respect, une profonde vénération.

Est sacré ce qui ne doit pas être violé, enfreint, touché.

Est sacré ce qui inspire la crainte devant la puissance absolue, et le « mystère »devant l’inconnaissable.

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6 Est sacrée la recherche de la Vérité : Trois paroles nous introduisent en loge, tirées de l’écriture :

« Frappez et on vous ouvrira Cherchez et vous trouverez Demandez et vous recevrez » Quand les portes du temple se sont ouvertes, la longue quête initiatique a commencée qui ne se terminera qu’à l’ultime Initiation et l’Orient Eternel. Cette longue quête, je ne peux la faire seul. Par mes Frères je progresse, par eux, j’ai reçu la lumière.

Sont sacrés la Justice et la Discrétion :

La justice, défini entre autres le Larousse est une vertu morale qui inspire le respect absolu du Droit d’Autrui. Le Juste est fidèle à la Loi du devoir.

De la discrétion, ce même Larousse écrit : « Action de garder le secret, aptitude à ne dire que ce qu’il convient, avec retenue et modération. » Est sacré l’Amour Fraternel :

C’est le second devoir du Maçon, me dit le rituel, que de secourir son frère, de l’assister de ces lumières et de ses conseils.

Souvenons-nous de notre serment de néophyte : « Je promets d’aimer mes Frères, de les secourir et de leur venir en aide. Je préférerais avoir la gorge tranchée plutôt que de manquer à mon serment ». Nous rappelons ce serment à chaque fois que nous nous tenons « A l’Ordre ».

Je voudrais pour finir, laisser parler St Paul dans son épître aux Galates :

« Frères, si quelqu’un est prit en faute, redressez le en Esprit.

Si l’un de vous s’égare loin de la Vérité, qu’un autre l’y ramène Portez les fardeaux les uns des autres.

L’Amour Fraternel est charité, joie, paix, longanimité, affabilité, bonté et fidélité, Il excuse tout, il pardonne tout ».

Mes Frères, ce sont ces mots que je vous demande de méditer ce soir dans notre chaîne d’Union , ce cri de l’apôtre :

« Mes Frères, ne cherchons pas la vaine gloire, pas de provocations entre nous, entre nous pas d’envie ».

Que l’harmonie, l’union et la concorde soient à jamais le triple ciment de nos œuvres.

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7 3 – La Fraternité Maçonnique

Je vais tenter de tisser un propos sur ce qui me paraît faire lien entre nous, frères francs-maçons. Les frères d’une même famille sont issus du même père et de la même mère. Ils sont liés par un lien de consanguinité. Il n’en est pas de même pour les frères francs-maçons. Quel est le type de lien qui unit ces derniers entre eux ?

Sans nul doute, il est possible d’en distinguer plusieurs. Alors la question qui se pose à nous est celle de savoir s’il est possible d’en isoler un qui leur soit spécifique.

A un niveau profane, on peut reconnaître aux francs-maçons un lien de fraternité historique liée à la genèse de la franc-maçonnerie, au partage de valeurs communes (ceci, disons, est de l’ordre de l’idéologie) ; plus prosaïquement les liens peuvent être le partage d’intérêts communs, parfois purement alimentaires (« mais l’homme ne vit pas seulement de pain » -Evangile).

Je ne peux pas passer sous silence la fraternité qui, à côté de l’égalité et de la liberté sont les trois valeurs emblématiques de la République Française, telles qu’on peut les lire sur nos pièces de monnaie. Nous comprenons que la justice exige un équilibre entre ces trois valeurs. En effet, si la primauté est donnée à la Liberté, cela conduit à la loi du plus fort en aggravant l’inégalité, si elle est donnée à l’Egalité cela conduit à l’assujettissement du plus grand nombre au mépris de la liberté, si elle est donnée à la fraternité, cela conduit aux corporatismes.

A un niveau rituel , les francs-maçons pratiquent et participent au même rituel symbolique, dont la chaîne d’union, de même que la houppe dentelée, symbolise précisément la fraternité. A noter que la notion d’égrégore, habituellement associée à la chaîne d’union et qui fait de celle-ci une sorte de communion spirituelle nous conduit tout naturellement à aborder le niveau spirituel de la fraternité maçonnique.

Au niveau spirituel qui transcende, si je puis dire, ce qui est de l’ordre du compréhensible par le savoir, nous parlerons également de fraternité. Chaque franc-maçon se donne pour objectif de bâtir son Temple intérieur en travaillant « la pierre brute », afin de participer au projet sublime de devenir chacun un élément indispensable à la construction du Grand temple maçonnique, le temple de Salomon. Je ne m’attarderai que sur ce niveau là, car c’est le seul, à mon sens, qui fait de la maçonnerie autre chose qu’une communauté profane , tel un parti politique ou religieux, un club d’amis (sportif, boulistes, automobilistes, etc), ou encore une corporation de métier. Il est intéressant toutefois de remarquer que la FM spéculative a élaboré sa symbolique à partir de la pratique opérative des maçons constructeurs et architectes. De là s’originent beaucoup de symboles utilisés, en particulier celui de Grand Architecte de l’Univers,

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8 symboles voués à rester lettre morte, tant qu’ils ne sont pas vivifiés par le mouvement relationnel, fraternel et spirituel des francs-maçons.

Est-ce à dire qu’il ne nous reste plus qu’à nous remettre au Grand Architecte de l’Univers et attendre passivement qu’il nous dicte ce qu’il attend de nous pour construire ce fameux temple ? Ceci est peu probable. N’oublions pas en effet les trois voyages : cherchant, persévérant, souffrant, dans lesquels s’engage l’apprenti FM. N’oublions pas les âges symboliques qui correspondent au niveau de mérite de chacun.

Nous voudrions certes pouvoir nous fier à la dispensation d’un savoir, à l’acquisition duquel correspondrait chaque degré d’avancement. Mais là encore il faut bien reconnaître que le chemin de la vérité ne s’accommode pas d’un savoir, tel un avoir. Rappelons nous la parabole du jeune homme riche, auquel le Christ dit qu’il doit faire don de tous ses biens, son avoir, pour accéder au Royaume des cieux ; ou encore celle de cet homme de bonne morale qui se voit interdit l’entrée du paradis, pour n’avoir jamais prêté attention au mendiant Lazare qui se tenait devant sa porte.

Non, construire son Temple Intérieur, se réaliser en maçonnerie, telle est en tout cas ma pensée, ce n’est pas se faire des amis, des compagnons de route, devenir apprenti puis compagnon puis maître, puis officier, etc., ce n’est pas en tout cas seulement cela, qui n’est, en quelque sorte, que la partie visible de l’iceberg.

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Cela ne suffit pas. Nous voyons dans ces figures des formes intelligibles mais, comme l’a écrit Saint-Exupéry dans Le petit prince : « l’essentiel est invisible aux yeux ». Nous ne voyons des choses du monde que les bords. Le centre, le cœur des choses, reste opaque à la conscience. Tel un volcan, la vie ne se manifeste à nous que par ses éruptions.

Ce n’est donc pas sur les signes extérieurs, apparents, que va se révéler et opérer la fraternité spirituelle.

La fraternité spirituelle ne se compte pas, ne se mesure pas, ne se manifeste pas en tant que telle (cft la rencontre entre Jésus et la samaritaine près du puits de Jacob ), elle se vit au cœur même de la relation, dans l’instant présent, au sens où le même Saint-Exupery disait :

« l’homme,- à entendre l’humain -, est un noeud de relation. ».

Ainsi, la fraternité au sens spirituel, tout comme la vérité n’est pas un dire ou un signifiant mais un point nodal opaque à la conscience, l’entrecroisement de pensées issues d’horizons différents . La vérité surgit là où deux êtres en relation se rencontrent. Elle est, de l’union, le trait (d’union) qui unit et sépare ; C’est pourquoi elle ne saurait être énonciation, savoir, définition. Elle est Parole, en ce sens que toute parole est tension vers et conjonction à un autre différent, à un prochain susceptible de l’accueillir comme message qui interfère sa propre trajectoire de vie et l’infléchit.

Ce point d’intersection de deux trajectoires produit un effet de vérité. Il est sans doute possible d’évoquer à ce sujet le symbole de la croix, symbole qu’on retrouve dans beaucoup de traditions et dont le centre rend compte de l’entrecroisement de deux lignes. Cela n’est pas sans évoquer également cette parole du christ : « quand vous êtes deux ou trois à prier en mon nom, (la prière s’adresse à Dieu) je suis avec vous ». Le Christ s’est énoncé lui-même comme étant la vérité, le chemin et la vie.

Ainsi la vérité ne réside pas dans des objets de conscience mais surgit au cœur de la relation, non comme savoir énonçable dans le discours mais comme surgissement de l’Inconnu, le tiers qui fait

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9 lien entre êtres humains, lesquels ont par ailleurs chacun leur cheminement.

Le grand architecte de l’univers n’est pas l’être qui construit ou conçoit le monde mais celui, symbolique, en qui et par qui s’entrecroisent le cheminement des êtres de parole et à partir duquel les hommes, les « parlêtres » (J . LACAN) ancrent et bâtissent leur Uni-vers. Il est la fondation de l’œuvre collective qui permet la rencontre, le moment insaisissable de vérité, le lieu de relations d’où s’origine l’histoire partagée des hommes, l’instant de la conception du germe à partir duquel le monde du compréhensible s’épanouit jusqu’à son apogée qu’est l’accomplissement du temple Universel, autrement dit, de la fraternité humaine, au delà des différences individuelles, d’éducation, de classes sociales et de culture. Cela s’appelle l’Amour, celui qui ne connaît pas de frontières.

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10 4 – La Fraternité

La planche que je trace ce soir a pour sujet « La Fraternité ». Une première approche nous amène à identifier deux thèmes principaux ; d’une part le lien charnel qui unit frères et sœurs au sein du foyer familial, la fraternité de sang ; d’autre part, ce lien de solidarité et d’amitié qui unit les hommes, les membres d’une société, fraternité de cœur, fraternité choisie, fraternité désirée.

La fraternité de sang relève d’une filiation biologiquement imposée. On ne choisit pas sa famille. A l’âge de l’enfance un fils unique ne s’imagine pas qu’un jour il devra partager l’attention et l’affection des parents ; devra partager les jouets, les jeux, l’espace de vie. La naissance du cadet emplit la maison de joie ; pourtant, ce bonheur intense génère une inquiétude ; à la prise de conscience par l’aîné que le bébé bénéficie de toutes les attentions, surgit un sentiment de délaissement ou d’abandon qui fait souvent naître des conflits entre frères et sœurs ; l’attitude jalouse de l’aîné est une réaction naturelle, il devra cependant admettre que le nouveau né bénéficie de droits équivalents. Les enfants éduqués dans une famille nombreuse auront toujours plus de capacités qu’un enfant unique à se socialiser, à s’intégrer aux monde des adultes. S’il existe des familles qui cultivent avec sincérité une affection authentique entre frères et sœurs, il en est d’autres pour lesquelles solidarité et amour fraternel s’estompent pour laisser place à l’indifférence. Dans d’autres familles une ambiance de conflit conduisant parfois à l’agressivité, n’est pas rare ; convoitise et jalousie, à l’occasion d’un héritage par exemple, peuvent donner naissance à des sentiments égoïstes et destructeurs.

La bible nous enseigne qu’à l’origine des temps, Dieu accepta les offrandes d’Abel mais refusa celles de Caïn. Cette provocation divine engendra les conditions du premier meurtre de l’humanité. La première fratrie se disputa si fort que l’aîné Caïn, par jalousie tua son cadet Abel. Colère et jalousie sont à l’origine du meurtre d’Osiris par son frère Seth. Romulus premier roi de Rome, pour s’approprier le pouvoir sans partage passa au fil du glaive son jumeau Remus. Tout se passe comme si l’avenir de l’humanité, ou la prospérité d’une cité devaient résulter de l’œuvre d’un individu unique, la tribu ne concevant pas une double autorité. Bien que condamnable, le meurtre fratricide fait pourtant parti du mythe fondateur des sociétés humaines.

Si dans le cas général la fraternité est lien de parenté imposé, pour nous francs-maçons elle résulte d’un choix et d’une motivation pour travailler à la réalisation d’un objectif commun : la construction d’un temple spirituel. En complément à la fraternité consanguine, il existe donc une fraternité de cœur que l’on ressent comme un sentiment d’appartenance qui s’impose, plus puissant que l’amitié ou la sympathie.

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11 Le profane qui frappe à la porte du temple s’évertue, lors du passage sous le bandeau, à convaincre l’auditoire ; les maçons évaluent le potentiel de travail du néophyte, mesurent ces capacités pour œuvrer à la construction du temple. Lorsqu’à l’issu du passage sous le bandeau, le candidat ému et inquiet quitte la loge, nous procédons au vote protégés par le périmètre de la corde aux lacs d’amour. Cette corde symbolise le lien fraternel qui raffermit notre cohésion. Si le décompte des boules noires et blanches conduit à résultat favorable, le lien fraternel créé à l’issu de la cérémonie d’initiation deviendra un engagement réciproque irréversible, lien indestructible tressé par tous les participants. L’expérience commune de gestation, vécue au sein de la même matrice, le cabinet de réflexion, sacralise et rend indissoluble le lien fraternel qui nous unit.

Le thème de la fraternité suscite de nombreuses interrogations.

Comment naissent les sentiments de fraternité ?

Ce lien familial, lien sacré parce que lien de sang oblige au devoir moral de dispenser amour fraternel et protection à ses frères et sœurs. Mais l’on peut nourrir pour autrui un sentiment fraternel fort sans qu’il y ait aucun lien de sang.

C’est un lien de solidarité et d’amitié entre les hommes. Dans le contexte particulier de situations dramatiques naît parfois un comportement fraternel spontané. On parle d’élan de fraternité. Cet élan s’est vérifié par le passé, lorsque la troupe envoyée contre le peuple, refusant d’obéir aux ordres, fraternise avec les grévistes. Je pense notamment au 17 ème régiment d’infanterie immortalisé par

notre frère Montéhus : « Salut, salut à vous, Braves soldats du 17

ème

».

Pendant la 1 ère guerre mondiale d’autres soldats déserteurs fusillés « pour l’exemple » appartenant aux deux camps refusèrent de combattre et mirent crosses en l’air. L’ordre établi en est ainsi bouleversé car les troupes ennemies qui fraternisent prennent conscience de la barbarie d’un affrontement fratricide sacrilège. La fraternité se concrétise lorsque dans l’urgence, il y a intérêt commun à démonter les mécanismes conduisant à toute forme d’agression injustifiable. Jean Ferrat en fournit une illustration avec le cuirassé « Potemkine », lorsqu’il dénonce le meurtre « c’est mon frère qu’on assassine », ou qu’il supplie « marin ne tire pas sur un autre marin » ; il suggère qu’agresser le frère innocent du camp adverse c’est s’agresser soi même. L’appel à la non violence s’apparente là, à un acte fraternel.

Dans d’autres circonstances, l’agression de la patrie conduit des hommes décidés à se regrouper en guérilla ou maquis ; refusant oppression et occupation du territoire national, dans la clandestinité, ils s’organisent en réseaux de résistance pour combattre le despotisme de l’envahisseur. Ils deviennent alors des frères d’armes.

Dans ces deux exemples un grand courage entraîné par une prise de conscience conduit à une pratique réelle mais me semble t-il incomplète ou restreinte de comportements fraternels. Car lorsque ce sont des conditions ou évènements extérieurs qui la suscite, la fraternité spontanée reste éphémère. Pour qu’un sentiment de fraternité perdure entre les hommes, il lui faut un support, une structure associative et un projet commun motivant.

En maçonnerie la fraternité réunit des anneaux de solide métal en quête de purification. En entrant dans cette famille, l’apprenti est épaulé, entouré ; il profite du soutien dispensé par les maîtres. Dans la société profane nous étions électrons libres. Nous sommes dorénavant rattachés à la molécule de base de la maçonnerie, la loge mère. Ce petit électron n’est plus seul ; il fait désormais parti d’un

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12 tout et se nourrit d’amour fraternel. Il se sent soutenu par le groupe dans son apprentissage et ses premiers pas.

Cependant la fraternité ne doit pas être exclusive. Si nous nous bornions à cultiver la fraternité entre nous, nous commettrions l’erreur de nous enfermer dans le corporatisme. La fraternité ne s’arrête pas dans les parvis à l’issue d’une tenue ; à la clôture des travaux les surveillants promettent de continuer au dehors du temple le travail entrepris ; notre devoir est d’exporter la fraternité, de l’infuser dans le monde profane pour tenter d’améliorer la condition du genre humain.

Les franc-maçons travaillent à la construction d’un temple idéal, la réalisation effective de la fraternité universelle. Cependant au sein même de la maçonnerie, de graves rivalités persistent.

Ce chantier gigantesque sera toujours en perpétuelle activité. Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement ? La nature érode constamment notre travail. Atteindre une forme de perfection définitive conduirait à la contemplation béate de l’œuvre accomplie. Le Grand Œuvre terminé nous assignerait à une passivité éternelle donc à la mort. Travailler sans relâche à réunir les hommes dans la fraternité, par la fraternité, est une garantie salutaire de vivre.

Comment se cultive et s’entretient la fraternité ? Quels sont les outils qui permettent sa réalisation ? Est-elle une utopie ?

Frères de sang ou de cœur, la fraternité ne va pas de soi, il faut l’enrichir, la cultiver, la rendre démonstrative. L’engagement maçonnique nous a fait choisir d’entrer dans une famille dont, parrain mis à part, nous ne connaissions pas les membres. Cette démarche d’adhésion en aveugle, procède d’un sentiment absolu de confiance. La fraternité sans confiance serait un non sens.

Générosité, solidarité, confiance sont des outils indispensables pour resserrer les liens fraternels. Apprécier et valoriser les qualités de nos frères plutôt que mettre leurs faiblesses en relief permet de se nourrir et de s’enrichir des différences de chacun. Quiconque a une attitude tolérante, équitable, partageuse, bénéficiera en retour de la générosité de la collectivité. D’abord donner pour recevoir. Sans tomber dans la complaisance, c’est à dire plaire pour plaire, l’apprenti démontre à la loge qui l’a initié ces capacités d’intégration ; il s’efforce d’être attentif. Le silence imposé l’incite à la pratique d’une écoute active ; l’enseignement dispensé étant perçu, non pas comme La Vérité mais comme un moyen pour l’atteindre. Chaque frère a présent à l’esprit le souci d’être disponible pour le groupe. Une fraternité démonstrative efficace passe par l’effacement du moi, par l’autodestruction de l’ego de chacun au profit du groupe.

Accepter les rugosités de l’autre, tout en travaillant à éliminer nos défauts n’est pas une tache facile. Cependant se complaire dans une tolérance condescendante qui conduirait à tout accepter de la part d’un frère serait malsain. La fraternité c’est parfois aider un frère à se replacer sur le rail de la raison, l’aider à affûter l’outil pour mieux rectifier sa pierre. Notre projet commun est de construire le temple idéal, mais de manière cyclique, le gros œuvre de l’édifice se fissure et demande à être consolidé ; les bases existantes ont parfois besoin d’être remaçonnées, d’être relissées à l’aide de la truelle outil symbolique de la fraternité pour gommer les imperfections des pierres en cours de polissage.

La fraternité utilise des outils pour se construire et s’enrichir, mais elle-même est un outil fiable. La fraternité est un but à atteindre certes, un objectif qui mobilise notre énergie ; elle est aussi un moyen, un socle sur lequel on peut compter. La fraternité est un véritable outil, mais un outil qui

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13 s’entretient, qui doit être régulièrement affûté. Elle est à la fois le sujet de nos préoccupations, idéal jamais atteint, mais supposé réalisable, et un objet bien réel, outil palpable efficace. La fraternité se battit sur l’échange de la transmission du savoir et la soif d’apprendre ; donner pour recevoir ; c’est prendre réel plaisir au partage des différences. La quête de vérité et de perfection ne peut se réaliser sans solidarité, compréhension et confiance en l’autre. La fraternité, force de cohésion qui assemble chaque pierre du temple, tire sa puissance de l’Egrégore, être vivant doué de conscience, créé par notre volonté. Elle n’est pas une utopie ou un rêve inaccessible puisque nous en ressentons les effets bénéfiques, mais pour l’éternité elle reste perfectible. La cérémonie rituelle la plus représentative est la chaîne d’union qui par le magnétisme, la concentration psychique et le serment prêté maintient la confrérie dans l’UNITE.

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14 5 – Egrégore… Chaîne d’Union et fraternité invisible…

Charles Baudelaire, expert s’il en est en Fleurs du mal, disait que « la plus belle astuce du Diable est de nous persuader qu’il n’existe pas » . Évidemment, en transposant cette phrase célèbre, on peut écrire que les égrégores diviseurs, souvent, usent de la même malignité que Satan, se font oublier et veulent nous persuader qu’ils n’existent pas, en effet.

Alors, qu’en est-il en réalité ?… Ce qui s’impose, c’est la constatation vérifiable que dans presque toutes les cultures connues, en effet, on observe la présence d’un monde plus ou moins vaste d’êtres bons ou mauvais peuplant cet espace intermédiaire qui présente en même temps la dimension du Réel concret et celle de l’au-delà problématique…

L’homo religiosus a cherché depuis l’origine l’expression ou la personnification de la puissance des forces cachées … Confronté à des phénomènes naturels qu’il ne savait guère interpréter ou expliquer, phénomènes bénis comme une tombée de pluie dans un désert ou maudit comme un tremblement de terre ou un déluge, il a progressivement inventé la métaphysique. L’homme s’est trouvé alors dans la démarche… créative ô combien…de tenter de capturer et d’influencer l’insaisissable grâce à une représentation sous des figures mythiques et magiques.

Au fond, s’inspirant de Ysé Tardan Masquelier qui introduit le langage symbolique en écrivant « il n’y a pas de symbole sans homme pour le penser » , nous dirons qu’il n’y a pas davantage d’égrégore sans homme pour le penser.

Pourtant, il s’agit de ne pas oublier qu’un symbole quel qu’il soit peut avoir plusieurs contenus de sens, en effet… »Un mythe est une vision unitaire du monde, il instaure des correspondances entre les divers ordres du réel, se fonde sur une intuition analogique, propose une explication globale »… Ainsi, entre la manière dont l’occultiste Eliphas Lévis considérait les égrégores quand il écrivait : « les égrégores sont des dieux … Les agragores sont des esprits moteurs et créateurs de formes. Ils naissent du respir de Dieu ». Ou encore « les égrégores de la terre sont les génies de la mer et des montagnes ; pour les anciens c’étaient des dieux, pour la kabbale ce sont des esprits mortels ignorants et sauvages, parce que la terre est un monde des plus imparfaits » et ce qu’est devenu en notre siècle le mot d’égrégore lorsqu’il est employé en Loge maçonnique, il y a tout un monde !

Employé couramment dans le Temple, il signifie alors quelque chose comme le résultat hypothétique de la communion des énergies mystiques quand la chaîne d’union, durant une tenue maçonnique, est constituée… C’est opéré ainsi un important et incontestable glissement de signifiant.

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15 Le terme « égrégore », pour les maçons de quelque obédience ou ordre que ce soit, semble, d’apparence tout au moins, faire l’impasse totale sur la presque totalité des données symboliques et mythiques . … Le mot égrégore occupe souvent la bouche des Francs-maçons réunis en atelier…

Mais qui donc se souvient du récit mythique et significatif des anges qui veillèrent sur le « Mont Hermon » pour leur simple dimension d’être collectif ? … Il semble bien que ce terme d’égrégore quand il est prononcé dans le cadre d’un rituel maçonnique, et « à couvert », n’a gardé que sa signification immédiate d’effets collectifs, d’énergies communautaires, en quelque sorte.

L’égrégore à raz les pâquerettes, à raz son sens premier, en somme…

Et pourtant, à peu près tous les historiens de la Franc-maçonnerie, savent et évoquent volontiers le véritable danger qu’il y a de négliger les effets qui peuvent être provoqués par une évocation, en quelque sorte « légère » de l’égrégore, par une demande intense et collective de frères espérant sa venue au cœur d’une chaîne d’union… On retrouve dans le souci qu’ils ont d’avertir leurs alter ego des périls ainsi encourus, cet effroi devant le Sacré.

En fait, l’égrégore pour les Francs-maçons est un temps particulièrement rare et privilégié dans la pratique du rituel collectif qui se déroule dans la Loge, moment où les frères présents au cours de la tenue éprouvent le sentiment d’une très intense communication entre eux, quels que soient leurs degrés et qualités, d’une communion fraternelle des énergies et vibrations… En résumé, l’égrégore semble un mot un peu galvaudé que l’on murmure souvent à voix basse, qui veut traduire des minutes d’émotion, la complicité exceptionnelle d’un groupe rassemblée autour d’un tableau de Loge (Naos), lors de la chaîne d’union, laquelle est donc cette figure constituée par l’ensemble des frères réunis, et se tenant par la main dégantée, de manière à former une boucle… Cette chaîne d’union peut être fermée si chacun croise les bras pour que le droit passe toujours par-dessus le gauche… Ce rite si particulier a lieu en général lors de la clôture des cérémonies, et elle est l’occasion d’une exhortation orale prononcée par le Vénérable Maître qui rappelle de façon solennelle le sens de ce geste qui lie fraternellement les personnes présentes ce jour-là dans la Loge à toutes celles qui les ont précédées et à tous les maçons de la terre, et même à ceux qui viendront après.

De même, a la fin des agapes, dans certains rites, les convives seront appelés à former à nouveau la chaîne… Au Rite Ecossais Ancien et Accepté, par exemple, celle-ci est formée à la fin des travaux et complétée par une sorte d’ « exhortation-prière » dont les termes sont laissés à l’initiative du Vénérable Maître… En fait, il est presque toujours rappelé que les frères doivent poursuivre au-dehors l’œuvre accomplie en Loge, dans le Temple, et l’égrégore, dans son sens commun de communion des énergies mystiques, s’y fait sentir souvent… Une connivence passe… Une fraternité agissante passe de chacun à chacun…

Alors, Dieu sait quoi d’indéfinissable descend parfois sur l’assemblée… Comme des anges, peut-être ? Comme si le groupe des officiants fort et UN par le certitude de son identité de vue, d’espérance, de pensée… Au fond, en maçonnerie, la chaîne d’union crée aussi, quand le rite est réussi, une force UNE, une entité invisible, peut-être ?…

Spirituel est toujours l’égrégore des Franc-maçons quand ceux-ci sont des initiés dignes de ce nom, c’est-à-dire toujours en quête d’un supplément de connaissance et de sagesse… Soyez Veilleur, souffle en quelque sorte l’égrégore… Et veilleurs jusqu’au bout de la quête que vous avez entreprise… Demeurez comme des dieux attentifs… Comme des dieux et des hommes devenus ainsi qu’un seul dieu par la vertu mystérieuse d’une fusion collective autour d’un même amour mutuel… Ainsi, plus souvent qu’il n’y paraît, en Loge, l’espace formé par la chaîne d’union devient le mont

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16 Hermon lui-même… Et les frères qui se transmettent connaissance et enseignement se sentent devenir à la ressemblance des égrégores remplis de la Sagesse des légendes mythiques…

Le collectif se transforme en entité en soi… l’entente est possible… Alors, toute chaîne d’union a son soleil mystique, comme dirait Eliphas Lévis… Tout « atelier » devient créateur et inspirateur d’initiatives de création… Toute entraide s’avère possible… Les apparences du voile sont transpercées de part en part, les visions communes deviennent lucides, le « vous êtes tous frères » s’incarne véritablement… La magie fraternelle opère à plein.

Toutefois, cette fraternité de l’égrégore triomphant, invisible et souvent indéfinissable, ne doit pas être confondue avec une connivence ou une convergence d’intérêts matériels ou, pire, par cette sorte de mafia maçonnique tant de fois dénoncée au-dehors par les profanes !… Si l’égrégore qui jaillit parfois de la chaîne d’union fait des miracles d’unité et de compréhension mutuelle, si elle suscite parfois des actes créatifs exceptionnels, l’égrégore peut être aussi parfois le hideux prétexte aux lâchetés collectives les plus criantes, aux injustices de caste, à l’esprit sectaire même… Les pires aliénations sont hélas possibles, les pires défigurations… Qui veut faire l’ange unitaire et gardien fait parfois le diable paranoïaque !

Il s’agit en somme de discerner l’égrégore qui ouvre vers la métanoïa des mystiques D transformation intérieure) et celui qui incite aux réflexes d’homéostasie, c’est-à-dire au repliement sur soi même et sur ses égoïsmes, y compris collectifs.

Ainsi, comme l’ange Gabriel, l’égrégore peut avoir une aile de lumière et une aile d’ombre.

C’est pour cela sans doute que sa fascination persiste en nos cœurs, que son aimantation se répercute d’un bout à l’autre de la chaîne d’union… L’égrégore, en définitive, fait penser symboliquement au pavé mosaïque de la Loge … Carrés blancs et carrés noirs y font la vie contrastée et le choix possible…

Alors, au-delà de ses légendes d’origine, l’égrégore ne peut mourir tant que nous l’appelons sincèrement pour des œuvres de lumière…

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17 6 – La ou les Fraternités ?

Toutes ses valeurs le sont par simple extension et je parlerai ce soir de la Fraternité qui est la valeur dont je crois avoir le plus découvert la portée et les vertus depuis avoir reçu la lumière. Certes, sans doute pas toute la portée et toute l’étendue de ses vertus – qui pourrait y prétendre ? – mais autant les valeurs de liberté, d’égalité, de tolérance, de respect m’étaient familières, en y accordant tout le crédit dont j’étais capable, autant celle de la Fraternité ne m’était pas aussi proche.

Quand le 26 novembre 1999 je me suis découvert un jumeau, moi fils unique forcément résigné depuis plus de cinquante ans, ce fut une révélation. Ce fut d’autant plus fort, ça l’est toujours et même davantage, que j’étais en recherche de ce type de spiritualité que je n’avais pas encore trouvé. Il suffit de me souvenir, alors que j’étais sous le bandeau, ce que j’ai répondu à votre question « Qu’attendez-vous de la Franc-maçonnerie ? ».

Je me rappelle très clairement avoir dit, entre autres éléments de réponse, que j’espérais y trouver, y partager une chaleur humaine que je n’avais pas, ou plus vraiment, dans ma vie. D’ailleurs, pour les passages sous le bandeau auxquels j’ai ensuite assisté, sur ma colonne cette fois, tous les candidats tenaient plus ou moins le même langage avec cette soif d’amitié, de contacts, de chaleur.

A ce sujet, Jean Verdun a écrit : « Ce qu’ils viennent presque tous demander à une loge maçonnique, c’est leur remembrement ».

C’est très clair pour moi, la Franc-maçonnerie m’a apporté, et j’espère depuis vous le rendre à tous, au moins un peu, une forme de camaraderie qui m’échappait dans le monde profane.

Est-ce cela la Fraternité ? Oui, c’est sans doute un de ses aspects. En tout cas, c’est ainsi que je le vis, que je la vis, mes FF\.

Le Petit Larousse donne deux définitions à Fraternité :

Lien de parenté entre frères et sœurs.

Lien de solidarité et d’amitié entre des êtres humains, entre les membres d’une société.

Le Petit Larousse de 1955, qu’on m’a offert pour mes 8 ans, donne cette définition :

Union intime entre les hommes, entre les membres d’une société et il donne cette phrase en exemple : « La fraternité est la plus noble des obligations sociales ».

Le Littré est plus philosophique :

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18 L’amour universel qui unit tous les membres de la famille humaine, avec cette phrase de Plutarque que je considère comme étonnamment paradoxale : « Un frère est un ami donné par la nature…mais son amitié n’est pas sure ».

Le Petit Robert donne jusqu’à quatre définitions :

Parenté entre frères et sœurs.

Lien existant entre les hommes considérés comme membres de la famille humaine ; sentiment profond de ce lien.

Lien particulier établissant des rapports fraternels.

Nom de certaines communautés religieuses.

Le mot français date du XII° siècle et vient du latin « Fraternitas », « Frère » vient de « Frater » qui a aussi donné « Fratrie ». Enfin « Fraternel » vient de « Fraternus ».

Dans le texte de notre Constitution, nous avons des obligations de fraternité dans le cadre des valeurs de la Franc-Maçonnerie et les Constitutions d’Anderson elles-mêmes disaient : « Vous cultiverez l’amour fraternel qui est la base, la pierre angulaire, le ciment et la gloire de notre Confrérie ».

Le Ligoud donne une longue définition à « Fraternité » :

FRATERNITE : un des plus vieux mots maçonniques dont nous constatons l’existence dès la période opérative. Dans la constitution d’Anderson, le mot est maintes fois répété : « d’une manière qui est toute particulière à cette Fraternité », « particulièrement s’il a obligé la Fraternité », « le ciment et la gloire de cette ancienne Fraternité », etc. Dans son discours, Ramsay emploie les termes de « confraternité », « Société » ou « Ordre » et l’emploi, du terme de « Fraternité » dans le sens d’associations, très fréquent au XVIII° siècle, est devenue rare en France. De même, le terme de « Fraternité » dans le sens d’amour fraternel entre tous les maçons, est d’usage fréquent dès le XVIII° siècle. Nous le trouvons dans le répertoire des discours en loge et surtout des poésies et des chansons… Pour les Maçons, la Fraternité n’est pas seulement un mot, mais aussi une profonde réalité qui s’exprime par les œuvres de solidarité ».

A noter qu’en bas-latin « fraternitas » signifiait « entre chrétiens » et il n’en demeure pas moins vrai que la véritable origine du mot semble bien être chrétienne – les relations entre chrétiens – dont l’expression « charité fraternelle » nous donne une idée.

Ce mot, avant le Latin et les Chrétiens, a une origine encore plus lointaine puisque c’est dans le mot sanscrit « bhratar » qu’on retrouve le sens de « frère » au sens large de parent proche. De cette racine sanscrite est venu le mot grec « phrater » – phrater avec PH – membre de la « phratrie ». Ecoutez la musique de ces mots…Bhratar – Phrater : c’est la même musique et la boucle est bouclée avec le Frater latin et le Frère français.

Les anciens grecs ont d’ailleurs donné à ce mot le sens qui est le notre aujourd’hui tout en créant un autre mot totalement distinct pour la notion de frère de sang afin d’éviter toute équivoque.

Depuis la Fraternité Chrétienne d’il y a 2000 ans, le monde laïque a vu la naissance, au fil des siècles de « Fraternités » diverses, ainsi des Rose-Croix, des Corporations de maçons constructeurs, les opératifs, de chevaleries diverses comme les Templiers. De toutes ces Fraternités nous sont parvenus certains des grades d’officiers actuels : vénérable, hospitalier, grand expert.

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19 Alors, la Fraternité, avant d’être un des fondements de la Franc-Maçonnerie est une valeur universelle avec de multiples significations. Ainsi, la Fraternité est indubitablement hétérogène. En voici quelques exemples non exhaustifs :

La fraternité biologique La fraternité associative La fraternité politique La fraternité religieuse La fraternité spirituelle La fraternité d’armes La fraternité initiatique.

Pour nous, c’est de cette dernière dont il est question mais nous pourrions tout aussi bien parler de fraternité sociale, de cette fraternité qui pourrait n’être qu’une camaraderie mais c’est bien plus fort puisque nous oeuvrons à des buts philosophiques communs qui nous unissent avec cette camaraderie, indispensable à mes yeux pour nous rejoindre.

J’ai parlé de Fraternité Chrétienne mais les trois religions monothéistes ont toutes leurs valeurs de Fraternité et pourtant elles s’affrontent plus souvent qu’elles ne s’entendent. Après tout, les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans viennent tous du même moule, si j’ose dire. Alors…frères ennemis ?

Ne dit-on pas : « Gardez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge ».

Ce qui nous rassemble, dans ce Tem\, par-dessus tout le reste, est ce but commun, cette idée commune qui est nôtre. C’est pour ces raisons, avant toute autre, que nous sommes des FF\. Nous n’avons, par exemple, pas d’obligation, éventuellement pas d’envie, de nous voir en dehors de ces travaux qui nous rapprochent fraternellement. De toute façon, cela semble difficile que tout le monde puisse voir tout le monde, quoique…et les relations fraternelles extra atelier se feront naturellement sans que rien ne soit enlevé au caractère fraternel de l’ensemble de nos relations.

La Fraternité est ambivalente, tout à la fois utopie et réalité. Ambivalente, tout comme le pavé mosaïque noir ou blanc, jamais blanc ou noir complètement. Plus qu’ambivalente, elle peut être en même temps « fraternelle » et « fratricide » : regardez Abel et Caïn, Romulus et Remus.

Il a été constaté que des hiéroglyphes égyptiens composant le mot « frère » contenaient deux éléments : le Verrou et l’Energie. J’aime bien cette association d’idée qui peut alors nous en faire déduire que ceux qui sont unis par les liens de la Fraternité, comme nous, verrouillent ou libèrent une énergie pour un travail commun.

Le biologiste Albert Jacquard, « activiste humain » comme il aime à se définir lui-même, affirme que tout ce qui existe a une origine commune et que tout ce qui recouvre le sens du mot Fraternité inclut non seulement l’humanité mais aussi les oiseaux, l’eau, les rochers, etc. Voilà une notion étonnamment intéressante et, bien que cela soit bien peu fraternel de donner la fin d’un film ou d’une histoire, je ferai une exception en vous citant la toute dernière phrase de son dernier livre « De l’angoisse à l’espoir », que je vous recommande si vous ne l’avez pas encore lu.

Voici cette phrase qu’il attribue à tout homme qu’il nomme « architecte de sa vie » : « Ce que j’ai réalisé aidera-t-il les hommes de demain à vivre plus sereinement ? ». J’avoue que de si hautes idées me remettent les miennes (d’idées) en place et mon humilité, à supposer qu’elle se soit un peu égarée, revient au grand galop. Même si nous sommes tous égaux avec les mêmes droits et devoirs, certains grands esprits peuvent nous donner des indications de vie. Hubert Reeves, lui, toujours un peu poète, dit que nous sommes, nous les hommes et tout ce qui vit sur Terre, des « poussières d’étoiles ».

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20 Toujours sur le plan biologique, nous savons qu’il y a de fortes probabilités pour que l’Humanité ait une origine unique et, dans cette hypothèse, nous sommes alors tous frères et sœurs.

Sur le plan historique, ce n’est qu’en 1848 que le mot Fraternité, sur une proposition de Alphonse de Lamartine, surtout connu de nos jours comme poète, mais alors Ministre des Affaires Etrangères du Gouvernement provisoire, a été officiellement intégrée dans la devise de la République qui est aussi la notre : « Liberté – Egalité – Fraternité ».

L’idée maîtresse était alors de rendre plus compatibles, mais surtout plus riches sur le plan humain, les notions de Liberté et d’Egalité. Lamartine n’a jamais été F\M\ mais, pour l’œuvre de sa vie politique courageuse et humaniste, il fut un homme admirable. Il s’est par exemple prononcé publiquement contre la peine de mort 20 ans avant Victor Shoelcher, rien que ça !

Je souhaite lui rendre ce soir hommage – rien que l’apport de « Fraternité » dans notre devise vaut bien cela – en le citant quand il exposait ce qu’il pensait de la Franc-Maçonnerie en 1848 :

« Vous écartez tout ce qui divise les esprits, vous professez tout ce qui unit les cœurs, vous êtes les fabricateurs de la Concorde. Vous jetez avec vos truelles le ciment de la vertu dans les fondements de la société, vos symboles ne sont que des figures. Si je ne me trompe pas dans cette interprétation de vos dogmes, on peut soulever le rideau de vos mystères sans crainte d’y découvrir autre chose que des services rendus à l’humanité ».

Merci, monsieur le Ministre Lamartine, après de tels mots, nous ne pouvons qu’être fiers de continuer l’œuvre de nos FF\ de cette époque, fiers d’être F\M\ La fierté, avant d’induire de l’orgueil ou du mépris, est un sentiment noble et élevé et à ce titre je pense que nous pouvons l’être.

Les francs-maçons de l’époque ont alors affirmé leur adhésion au gouvernement provisoire de 1848 en affirmant avoir retrouvé leurs principes sur le drapeau français.

Cette « fraternité » de 1848 trouve certaines sources dans la Révolution de 1789 où il était question d’hommes vertueux, dotés de sens moral, politique, social. Après tout, l’égalité prônée en 1789 n’était qu’idéalement formelle ou formellement idéale, idéalisée, comme vous voudrez, et la Fraternité officielle de 1848 a fait progresser le pays vers une fraternité plus ouverte, plus sociale. Les grands progrès sociaux ont alors vraiment démarré.

Dans ce même ordre d’idée, je pense à des évènements modernes, aux guerres récentes de Yougoslavie, par exemple mais la liste peut être longue. Les notions de « patrie », de « nation » incluent celle de « fraternité » et nous avons malheureusement assisté à des combats fratricides. On peut parler dans ces cas de haine fraternelle.

Paradoxe suprême : au nom de la Fraternité, on tue ceux qui la menacent et le plus terrible est que c’est peut-être le bon ordre des choses. Toutes les guerres ont montré des agresseurs et des agressés. Chaque fois, la « fraternité » des uns était menacée par les autres et réciproquement.

La légende de Castor et Pollux est un bel exemple de l’aspect ambivalent de la Fraternité. Je me permets de vous la rappeler :

La nuit de la conception des jumeaux, Leda, au sortir de ses amours avec Zeus, a regagné la couche de son époux légitime, Tyndare, Roi de Sparte. A partir de là, Pollux a été considéré comme le fils immortel de Zeus et Castor comme le fils mortel de Tyndare. Pollux, fils de Zeus, est censé représenter le monde spirituel, l’intelligence supérieure tandis que Castor est décrit comme balourd, peu intelligent et jouisseur. Tué dans une embuscade, Castor aurait été voué aux Enfers si son frère,

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21 symbole accompli de l’amour fraternel, n’avait proposé à Zeus de partager avec lui son immortalité. Et c’est ainsi que les jumeaux purent alterner leurs vies un jour sur deux.

Cette histoire illustre positivement la Fraternité quand celle de Abel et Caïn est plutôt négative, au moins pour Abel – lui, il est mort – puisque Caïn, loin d’être condamné, est carrément devenu le père de l’humanité, le premier bâtisseur. Enfin, c’est ce que nous dit la Bible, et moi je ne sais que penser…

La Fraternité permet que nous puissions espérer un monde meilleur, elle est une force qui nous donne toute la vigueur utile et nécessaire à l’espoir de ce monde meilleur…et il en faut de l’espoir, si vous me permettez cet avis, mes FF\.

…le problème est que toutes les tendances aux divisions actuelles, et malheureusement récurrentes, ne me rendent franchement pas vraiment optimiste à court ou moyen terme pour une Fraternité plus répandue sur notre Terre.

Ah ! Oui…On peut se parler d’un bout à l’autre de la Terre en une seconde, c’est vrai…mais on peut aussi se tuer en une seconde. La télévision permet à n’importe qui, ou peu s’en faut, de voir tout se qui se passe ailleurs. C’est bien…mais c’est aussi bien compliqué puisque ceux qui n’ont pas notre chance peuvent le constater de visu et voir les différences, criantes. Je suis toujours aussi troublé par ce progrès bizarre qui donne la télé à tout le monde mais pas à manger.

Nous savons bien, même si nous ne pouvons que le souhaiter, que beaucoup de personnes n’auront pas accès tout de suite, voire jamais, aux mêmes richesses que d’autres…

…Alors…est-ce que l’Organisation Mondiale du Commerce, pour ne citer qu’elle, permettra, à travers une mondialisation que nous rêvons positive, de faire en sorte que tous aient demain à manger et à boire ?

Utopie quand tu nous tiens…mais quelle fraternité magnifique ce serait…

J’en profite pour rendre hommage à James Tobin qui a rejoint l’O\ éternel il y a quelques semaines, à l’age de 84 ans, après avoir reçu le Prix Nobel d’Economie en 1981. Il n’aura pas vu de son vivant l’accomplissement de son projet. Le verra-t-il d’où il est et – tout simplement – les hommes le verront-ils un jour ?

Utopie quand tu nous tiens…mais quel formidable exemple de fraternité effective ce serait…

N’est-ce pas Martin Luther King qui a commencé l’un de ses discours en disant : « Cette nuit, j’ai fait un rêve – « Last night, I had a dream… » -, les hommes s’entendaient bien et…etc ». Je suis sur que vous entendez sa voix, là…maintenant, alors que je l’évoque. J’ai des frissons en y repensant : il avait rêvé de fraternité et on l’a tué pour ça.

La Fraternité est la recherche initiatique qui permet à tout franc-maçon de travailler à la construction de son temple intérieur tout en travaillant à l’œuvre commune extérieure. C’est ce que nous faisons en Loge en rassemblant nos diversités et d’ajouter, de mélanger, d’enrichir nos points de vue. Notre recherche commune de la vérité permet cela grâce à la fraternité.

Notre but commun, au-delà de nos différences, est l’amélioration matérielle et morale, le perfectionnement intellectuel et social de l’humanité et la fraternité est indéniablement un des outils pour essayer d’y parvenir.

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22 Notre fraternité initiatique devient fraternité humaine tout court par le travail en L\ et la réunion de toutes les énergies axées vers ces mêmes buts qui constituent une véritable force spirituelle. C’est cela que je suis venu chercher en maçonnerie et, je l’espère, avoir apporté, au moins un peu.

En Loge, nous pouvons aussi constater la force du sentiment de fraternité par le respect des règles acceptées par chacun d’entre nous lors de notre serment : solennité, correction, bienséance, le ton de nos voix qui se doit d’être posé et courtois, le respect du rituel pour les déplacements, la parole, le silence. Personnellement, je vis tout cela chaque fois avec plus de force que la fois précédente et c’est bien la preuve d’un apprentissage permanent.

C’est une vraie joie de vous retrouver ici, mes FF\.

Je suis heureux de venir ici deux vendredis par mois, plus parfois, je suis heureux de savoir retrouver des personnes qui sont en communauté de pensée avec moi, et moi avec elles, je suis heureux de retrouver des personnes en qui j’ai confiance et dont je sais qu’elles me le rendent.

Ici, je viens chaque fois me ressourcer, en quelque sorte reprendre, grâce à nos travaux en Ten\ et à nos Agapes – n’oublions surtout pas nos Agapes si riches et quelquefois si animées – donc, ici, nous venons reprendre un peu de force maçonnique pour les deux semaines suivantes.

Sincèrement, je souhaite être parvenu à avoir été donateur de cette force, ne serait-ce qu’une fois.

Notre F\ JC N\, qui est venu plancher ici-même le 22 mars sur le « Symbolisme, outil du F\M\ », nous disait, lors du débat, que, finalement, nous pouvions très bien réfléchir sur tel ou tel symbole et avoir une parfaite attitude franc-maçonne en restant chez soi, que finalement se réunir dans un endroit tel que celui-ci n’était pas si important voire pas nécessaire.

Oui, c’est sûrement possible mais ce qui m’a frappé, c’est que notre F\ Jean-Charles n’a pas vraiment exprimé, ce soir là en tout cas, ce plaisir qui est le nôtre de cette rencontre formelle dans le temple qu’est la Ten\ Sol\ et de tout ce qui nous distingue de n’importe quelle autre association. Ce plaisir qu’il n’a pas exprimé est d’autant plus fort qu’il est venu nous parler de symbolisme, de la puissance de ces symboles dans lesquels nous allons chercher les forces dont nous avons besoin. Mais je n’ai peut-être pas tout compris.

Je crois que le sentiment fraternel, la fraternité !, qui nous anime fait que nous avons envie de tout cela et de le respecter.

Plus que « Symbolisme, outil du F\M\ » qui est un titre très respectable pour une Pla\ pédagogiquement instructive qui ne l’est pas moins, j’ose dire « Fraternité, outil principal du F\M\ » car, sans elle, je pense qu’il n’y a pas de bon F\M\, voire pas de F\M\ du tout, et tous les autres outils ne servent alors plus à grand’chose.

Pour conclure, et elle conclut également nos Ten\ Sol\, je veux parler de notre si belle Chaîne d’Union qui permet, après nos travaux, éventuellement nos désaccords au cours de ceux ci, de nous quitter avec le sentiment d’une fraternité toujours présente et tellement vivifiante, voire revivifiante.

Nous sommes alors dégantés, nous avons enlevé ce symbole égalitaire que sont nos gants blancs pour nous retrouver mains nues et, en nous touchant, c’est la preuve, chaque fois, de notre union par l’initiation, la preuve de l’acceptation de mes FF\ tels qu’ils sont, la preuve de mon acceptation par eux tel que je suis.

J’ai grand plaisir à donner le mot de la presque fin, à ce travail d’un F\M\ du XXIème siècle, à Socrate qui fut condamné et exécuté pour ses convictions, il y a plus de 2400 ans. C’est Platon qui nous rapporte ce que Socrate disait :

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23  » Le combat pour la vérité et la justice, pour la fraternité des hommes, est le plus beau et le plus noble des combats.  »

Merci à toi, Socrate, rien que pour ces belles paroles qui illustrent si bien ton courage.

Cette Pla\ ayant été plutôt sérieuse, le mot de la vraie fin, résolument optimiste, sera pour notre F\ Pierre DAC\, toujours si drôlement fraternel :

 » Dans le domaine de l’amour physique, une promesse non tenue est une tenue blanche.  » Cette citation de notre F\ Pierre DAC\, pas évidente dans le contexte, s’y trouve quand même puisqu’une promesse est une noble valeur qui peut être colorée de fraternité.

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24 7 – De la Perpendiculaire à l’Amour Fraternel

Vénérable Maître et vous mes Frères en vos grades et qualités, je vais vous parler de la perpendiculaire à l’amour fraternel.

Le Frère qui vient d’être reçu en Franc-Maçonnerie est comparable à un bloc de pierre brute tel qu’il est extrait des carrières ; une pierre impropre à servir à la construction aussi longtemps qu’elle n’a pas été débarrassée de ses impuretés et de ses rugosités.

Aussi ai-je dû, comme tout apprenti, consacrer tous mes efforts à la lourde tâche de mon perfectionnement; mes faiblesses, mes passions, mes mauvaises habitudes étaient comparables aux aspérités de la pierre brute que je dois parvenir à supprimer.

En effet, les jugements du monde profane n’ont pas cours en Maçonnerie. Il a donc fallu que j’accomplisse un véritable travail de rééducation. Pour y parvenir, j’ai commencé par suivre assidûment les séances de l’atelier et les tenues au temple. J’ai ensuite médité les symboles et les rites. J’ai étudié l’histoire de la Franc-Maçonnerie et j’ai tenté de me pénétrer de son esprit et de connaître son oeuvre.

Or, j’ai d’abord été dérouté en voyant que la perpendiculaire (la verticale, symbole actif) était attribuée au second surveillant qui s’occupe des apprentis qui doivent se taire, tandis que le niveau (l’horizontale, symbole passif) était attribué au premier surveillant qui s’occupe des compagnons qui eux peuvent parler. Toutefois, le deuxième surveillant contraste avec le premier par sa douceur. Il comprend tout et sait excuser ce qui est excusable. Contraint de confesser une bévue, le débutant s’adresse à lui avec confiance devinant que toute erreur se répare sous l’égide de la perpendiculaire et du fil à plomb.

La différence entre le fil à plomb et la perpendiculaire ne m’a pas tout de suite sauté aux yeux. Elle est pourtant importante. Le fil à plomb révèle la verticale qui dépend de la pesanteur qui est une loi « naturelle » incontournable de notre monde. La perpendiculaire révèle l’axe primordial en le comparant à l’action humaine, dont elle mesure en quelque sorte la rectitude.

Lorsqu’une loge procède à la fondation du Temple, elle fait apparaître cet axe en plantant le gnomom, c’est-à-dire le bâton planté en terre au centre de l’espace ou se dressera l’édifice sacré, ainsi que la direction de celui-ci.

La dénomination même de la réunion maçonnique, la « tenue », est en rapport avec l’axe. En effet,

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25 la tenue est une réunion organisée autour de l’axe conféré par le rituel et le plan de travail. Lorsque ces conditions sont réunies, tenue devient synonyme de communion avec l’axe du monde. A cet instant, tous ensembles nous vivons en communion de cœur et nous donnons corps à la loge.

La perpendiculaire donne donc à vivre l’harmonie de la loge par la mise en harmonie de l’être. L’axe de l’être devient une réalité lorsqu’il se trouve en résonance avec celui de la loge. L’utilisation la plus parlante de la perpendiculaire (du latin perpendiculum qui étymologiquement signifie peser avec exactitude) est la « pesée du cœur » telle que la représentait l’Egypte ancienne. Le peson de fil à plomb mesurait si la conduite de l’âme avait été conforme à la Règle ou si elle avait été perturbatrice.

En effet, à cette époque le sage égyptien Ptahhotep écrivait : « Toute conduite doit être conforme au fil à plomb ». En effet, la société toute entière était fondée sur le respect de Maât (déesse de la justice, de l’ordre et de la règle). La norme (du latin norma qui signifie règle) était alors ce qui correspondait à la règle, elle sous-entendait une notion de rectitude du comportement qui ne devait pas troubler l’ordre du cosmos.

Dès lors, même si faute de document probant, aucun rapprochement précis n’est possible entre l’initiation maçonnique et l’initiation aux mystères antiques. On l’aura compris l’axe définis par le fil à plomb est la référence stable de la conduite fraternelle. Elle s’enracine au cœur du mystère et nous montre le chemin pour vivre selon la Règle.

La voie initiatique est une voie de fraternité. Au delà de ma propre manière de voir, j’ai découvert, avec la pratique du travail en Loge, que ce qui s’exprime par le travail d’un autre n’était pas contradictoire avec mon propre apport, mais complémentaire. Ainsi, l’œuvre s’enrichit de l’apport d’une multitude de point de vue.

Là où, dans le monde profane, on tente la plupart du temps d’imposer son point de vue, dans la Loge, la pratique de l’amour fraternel conduit à écouter et accueillir comme un don précieux les autres manières de dire qui s’expriment.

Une telle attitude ne va pas de soi, surtout dans une culture comme la nôtre dans laquelle le culte de l’individualité et de la compétitivité est poussé à son paroxysme.

Ainsi, en vous rejoignant mes frères, j’ai commencé un véritable apprentissage sous la conduite du second surveillant. A cet égard, la Perpendiculaire s’est avérée un guide précieux pour découvrir l’amour fraternel. Elle m’a aidé à éveiller mon cœur et ma conscience en me rapprochant de l’harmonie et peut-être de l’axe du monde.

Néanmoins, je suis conscient que cette rectitude n’est pas acquise une fois pour toute car une construction vivante est soumise à des transformations. Je devrais donc toujours maintenir ce travail de conscience et de cheminement parmi les symboles qui ont éveillé mon cœur conscience d’apprenti, afin d’espérer continuer à percevoir l’amour fraternel.

Aussi, la Franc-maçonnerie possède un magnifique symbole de cet amour : c’est la chaîne fraternelle dont il est dit « qu’elle fait le tour du globe » et qui, au sein de la Loge, est représentée par les mains enlacées des Frères.

Telle la magnifique parole du Christ « Aimez-vous les uns les autres », lorsque, dans nos

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26 tenues, nous formons cette chaîne, ne sentons-nous pas tous cette émouvante union fraternelle?

D’ailleurs, peu avant l’apostolat du Christ, Jean-Baptiste prêchait l’amour fraternel et ce n’est pas sans intention que le jour de la naissance de Jean-Baptiste a été fixé au 24 juin, date approximative du solstice d’été : ainsi nous apparaît-il comme la personnification de la lumière, de la lumière maçonnique. Aussi, la plupart des Loges célèbrent-elles à cette époque une fête commémorative, la Saint-Jean d’été, qui est une fête de l’amour, de la réconciliation et de l’enthousiasme.

Nous sommes ici en présence d’une tradition empruntée aux loges opératives des temps anciens. La Franc-Maçonnerie actuelle, dit spéculative, est née, nul ne doit l’ignorer, dans les loges opératives de l’Angleterre au début du XVIIIème siècle. Ces loges ont de tout temps révéré comme patron, soit Saint-Jean Baptiste, soit Saint-Jean l’Évangéliste qui, de la sorte, ont passé dans les us et coutumes de la Maçonnerie spéculative

Enfin souvenons-nous de la promesse solennelle que l’on a exigé de nous après les trois voyages : « Je promets d’observer scrupuleusement les lois de la Franc-Maçonnerie, de travailler à la prospérité de ma Loge, d’aimer mes Frères, de les aider de mes conseils et de mes actions, pour autant que cela n’est pas contraire à mon honneur et mes devoirs vis-à-vis de Dieu, la patrie et la famille ».

Les devoirs formulés par ce serment sont clairs et ne prêtent pas à confusion; ils sont destinés à ne pas rester de vaines phrases, mais à être effectivement remplis. C’est un serment sacré que prononce le futur Franc-Maçon, et non pas une promesse accessoire quelconque qu’il n’est pas nécessaire de tenir à tout prix. Seul un homme indigne viole délibérément une promesse aussi formelle, prononcée dans un moment aussi solennel. Toute l’essence de la Franc-Maçonnerie est contenue dans ces paroles; et celui qui se conforme aux préceptes quelles formulent sera un Franc-Maçon véritable et un homme digne de ce nom.

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27 8 – Caïn et Abel, épreuve de la fraternité

Les Traditions, le texte, le rapprochement

J’avais annoncé en premier titre de ce travail Caïn et Abel, échec de la fraternité. Cependant l’annonce faite, un F m’interrogea sur échec ou épreuve ; il venait de corriger le titre et orienter ce travail. Caïn et Abel épreuve de la fraternité.

La question de la fraternité est une question vieille comme la Bible. La Bible est traversée d’histoires de fraternité. Avec le 1 er fratricide, c’est l’accent sur la difficulté à coexister qui est mis en avant. La Bible montre que ce sont dans des affaires de sang, de pouvoir et de métaux que se joue la coexistence.

Mon travail s’articule en trois points : 1 Les Traditions, 2 Commentaire de Gen 4, et 3 Rapprochement à la démarche maçonnique.

CAIN ET ABEL GENESE 4 1 L’homme connut Éve sa femme. Elle devint enceinte, enfanta Caïn et dit:  » J’ai procréé un homme, avec le Seigneur.  » 2 Elle enfanta encore son frère Abel. Abel faisait paître les moutons, Caïn cultivait le sol. 3 A la fin de la saison, Caïn apporta au Seigneur une offrande de fruits de la terre; 4 Abel apporta lui aussi des prémices de ses bêtes et leur graisse. Le Seigneur tourna son regard vers Abel et son offrande,

5 mais il détourna son regard de Caïn et de son offrande. Caïn en fut très irrité et son visage fut abattu.

6 Le Seigneur dit à Caïn:  » Pourquoi t’irrites-tu ? Et pourquoi ton visage est-il abattu ? 7 Si tu agis bien, ne le relèveras-tu pas ? Si tu n’agis pas bien, le péché, tapi à ta porte, te désire. Mais toi, domine-le.  » 8 Caïn parla à son frère Abel et, lorsqu’ils furent aux champs, Caïn attaqua son frère Abel et le tua. 9 Le Seigneur dit à Caïn:  » Où est ton frère Abel ?  » –  » Je ne sais, répondit-il. Suis-je le gardien de mon frère ?  » 10

 » Qu’as-tu fait ? reprit-il. La voix du sang de ton frère crie du sol vers moi. 11

Tu es maintenant maudit du sol qui a ouvert la bouche pour recueillir de ta main le sang de ton frère.

Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa force. Tu seras errant et vagabond sur la terre.  » 13 Caïn dit au Seigneur:  » Ma faute est trop lourde à porter. 14

Si tu me chasses aujourd’hui de l’étendue de ce sol, je serai caché à ta face, je serai errant et vagabond sur la terre, et quiconque me trouvera me tuera.  »

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Le Seigneur lui dit:  » Eh bien! Si l’on tue Caïn, il sera vengé sept fois.  » Le Seigneur mit un signe sur Caïn pour que personne en le rencontrant ne le frappe.

16 Caïn s’éloigna de la présence du Seigneur et habita dans le pays de Nod à l’orient d’Éden. 25

Adam connut encore sa femme, elle enfanta un fils et le nomma Seth,  » car Dieu m’a suscité une autre descendance à la place d’Abel, puisque Caïn l’a tué « .

A Seth, lui aussi, naquit un fils qu’il appela du nom d’Enosh. On commença dès lors à invoquer Dieu sous le nom de Seigneur.

Le texte de Genèse 4 présenté ici est celui de la traduction œcuménique de la Bible. Nul ne peut prétendre épuiser les significations de l’Ecriture, ni les élucider. Nous pouvons noter que selon les différentes traductions, les variations peuvent être d’importance.

1. Cependant des idées fortes se dégagent selon les Traditions :

La tradition juive ancienne développe des commentaires de lecture morale et explique qu’à ce stade de l’humanité, l’anéantissement d’un individu représente une catastrophe. Aucun homme ne peut prétendre vivre de manière autarcique et que l’inter dépendance constitue un des éléments fondamentaux de la vie en société.

La tradition chrétienne néo testamentaire noircit le personnage de Caïn. Jean 3.12 « Caïn était du mauvais et égorgea son frère. Et à cause de quoi l’égorgea t’il ? Parce que ses œuvres étaient mauvaises et celles de son frère justes ». Les siècles suivants verront le délestage du texte biblique de son sens moral au profit d’un sens second, christologique à la coloration anti-juive.

Interprétations gnostiques. C’est ici la notion d’un dieu inférieur, le démiurge qui sera le violeur d’Eve et le père de Caïn et Abel, ignorants et imparfaits, porteurs ainsi une vision pessimiste du monde. Seth fruit lui de l’amour d’Adam et Eve marquera le début d’une descendance non corrompue, victoire du pouvoir de Dieu.

Réflexions musulmanes. Issues de la sourate 5. « Il se trouva de bonnes raisons pour tuer son frère et il le tua. » L’interprétation fera apparaitre la querelle fratricide comme le prélude du refus que les hommes opposeront aux envoyés de Mahomet.

L’Occident Médiéval chrétien marquera une évolution vers un récit fondateur de civilisation. Maitre Eckart retiendra le fait que Caïn et Abel représentent les deux tendances de l’homme plus que l’opposition entre deux types d’hommes. » Les deux fils, le bon et le méchant signifient notre double nature, sensuelle et rationnelle : la nature sensuelle nous pousse vers le mal, c’est l’aliment du péché et le désir charnel. La nature rationnelle nous pousse vers le bien, c’est la voix de la conscience ».

La vision de Luther : Caïn et Abel, le juste et l’hypocrite. Quand on présenta pour la 1ere fois son fils à Martin Luther (1483-1546), il l’embrassa et dit : » Dieu combien Adam dut aimer Caïn, le 1er homme qui soit né ! Et le voila devenu assassin de son frère ! Honte à toi Caïn ! Pour Luther dieu renverse le cours des choses, la promesse ne s’adressait pas à Caïn mais à Abel, et marque le début de l’existence de deux Eglises, la vraie et celle des méchants… Caïn n’est pas damné en fonction de son œuvre mais de son impiété. Luther se reconnait en Abel, il préfère l’autorité divine à celle de l’Eglise caïnite du Pape.

Ensuite au 19°siècle, c’est plutôt Caïn qui inspire, il est l’étendard de la révolte, des rebellions antireligieuses : Byron, Baudelaire « Race de Caïn, au ciel monte, et sur la terre jette Dieu ! », Leconte de Lisle » Celui qui m’a conçu ne m’a jamais souri ! » Hugo lui fera de Caïn la figure germinative du vaste enchainement de ténèbres vivantes qu’est l’histoire humaine. « Pour vous assassiner, justes, l’homme a toujours entre les mains assez du 1 er fratricide… ».

Aujourd’hui, l’identité d’Abel représente tout ensemble Jésus et Israël, et plus largement encore toutes les victimes de la violence meurtrière.

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29 Aux lectures traditionnelles lues au fil des époques, il convient de rajouter des lectures d’orientation kabbalistiques qui s’inspirent des noms hébreux, ou alchimiques. Caïn est différent d’Abel dès la naissance. « Elle acquis un homme avec le Seigneur. Elle donna aussi le jour à Abel ». Il n’est pas acquis avec Dieu, il est le fils de sa mère. Différence de principe. Caïn, Qayin, signifie acquérir, Abel, Hevel signifie le souffle .L’ancrage et le mouvement. Sans Abel, Caïn n’est rien, il va juste survivre, mais privé d’âme. La création ne subsiste que par la complémentarité des principes. La postérité humaine se fera par Seth, qui deviendra le Père de l’homme Gen 4.25. Les quatre lettres, quatre consonnes phonétisées mais imprononçables du Tétragramme sacré sont Yod, He, Waw, He, elles ne sont ni un pluriel ni un singulier mais un masculin-féminin. Masculin pour Yod et Waw, Féminin pour He. Le Tétragramme, c’est Père-Mère , principe male, principe femelle.

L’être fondamental est androgyne. Puis selon Gen 1.27 : « Dieu créa l’homme à son image, homme et femme il les créa. » ce qui n’est pas contre dit par Gen 2.22 « Puis de la cote tirée de l’homme, Dieu façonna une femme et l’amena à l’homme ». Un Adam androgyne image de l’androgyne primordial. Dans le jeu des lettres hébraïques Abel, HEVEL contient le He féminin, et Caïn Qayin contient le yod masculin, comme pour Abram qui recevra le HE et deviendra Abraham GEn 17.5 » ton nom sera Abraham, car je te fais père d’une multitude »

Une lecture de Caïn et Abel qui les fait complémentaires de principes avant tout, ce que pourrait traduire l’image de Basile Valentin dans l’AZOTH du Rebis alchimique, matière double exactement équilibrée, au compas en main droite et équerre en main gauche. Vertu aurifique d’Abel.

2 Suivons maintenant le texte de GEN 4

Le crime, ce meurtre fondamental est une des conséquences de la chute d’Adam et Eve. Il est l’explication totale : le malheur humain suit l’expulsion du lieu idéal où le crime n’existait pas. En Eden la médiation est inutile. Le sacrifice, l’offrande procédera de l’existence d’une distance entre Dieu et les humains, c’est l’aspiration à rétablir la relation.

En 4.1, Eve pense déjà avoir rétablit la relation : » j’ai acquis un homme avec le seigneur » Caïn est le sauveur d’Eve après la Désobéissance. Caïn l’acquis est reconnu, Abel le souffle, aucune louange ne l’accueille, il est ajouté à Caïn. Caïn est lié aux objets, au sol, Abel lui est en charge d’êtres vivants. Abel est régi par le principe de vie, il développe une vertu d’amour.

Viennent ensuite les offrandes. Il faut renouer la relation, faire acte d’allégeance. C’est Caïn qui a l’initiative de l’offrande et qui semble vouloir l’approbation de Dieu. Abel l’imite.

Dieu choisit l’offrande d’Abel. Dieu ne compare pas les offrandes, il indique un choix, un standard. Le troupeau d’ABEL, évoque lui la vie. Caïn réduit le monde au produit de son travail. L’offrande d’Abel choisie provoquera la colère de Caïn. Pour lui, YAHVE a commis une injustice. Caïn ne pouvant assouvir sa vengeance contre Yahve, va se retourner contre Abel. Abel n’est plus le frère, il est le rival. Dieu invite pourtant Caïn à dominer son sentiment de jalousie. Caïn découvre sa fragilité, sa peur d’être menacé par le droit d’autrui à exister ; peur fondamentale de l’humanité.

Caïn comme Adam ne saura pas renouveler le défi, le meurtre sera consommé. Il va éliminer son frère sans comprendre que la simple acceptation de son inconsistance serait elle-même bénédiction. Caïn ne reconnait pas sa faute et se transforme en accusateur. Sa réponse insolente signifie c’est toi Dieu qui n’a pas veillé sur mon frère, c’est toi qui l’as tué. Caïn se place en irresponsabilité, il lui est impossible d’émerger à lui-même. Abel meurt donc, l’Eternel ne la sauve pas. C’est bien à l’homme de veiller sur son frère. Responsabilité de l’un à l’autre, présence de l’un à l’autre.

Survient alors la parole de repentance, demande d’aide à l’Eternel. Caïn ignorant l’interdit du meurtre, Dieu refuse la peine de mort au nom de la vie. Si Caïn a échoué à garder son frère, Dieu gardera Caïn par le signe mystérieux.

EVE dit en GEN 4.25 « Dieu m’a accordé une autre descendance ». La postérité humaine passera ensuite par Seth ancêtre de Noé.C’est ce que dira EVE en GEN 4.25 « Dieu m’a accordé une autre

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30 descendance ». Seth signifie le refus de l’alternative entre bourreau et victime. Seth est l’émergence de l’humain dans l’être, il dépasse les limites d’Abel.

Ainsi le récit biblique de GEN 4, n’oppose pas seulement deux frères mais s’attache à éveiller à travers cette histoire notre propre responsabilité envers autrui, condition pour partager l’existence.

Comment Abel, le souffle, l’inconsistant, le second, ce vaniteux peut il prétendre à la bénédiction ? Cette vision de la vanité d’Abel est la notre, à tous. Caïn avait besoin d’Abel pour être complet, il devait être le gardien de ce souffle frère. Notre avenir dépend de l’acceptation de ce souffle qui est en nous et hors de nous. Le point de départ est la constante négation de l’Abel en nous. Nous sommes tous des meurtriers d’Abel, des gardiens de notre frère.

Rapprochons maintenant la lecture de GEN 4 de notre démarche initiatique, de notre engagement maçonnique, chemin de vie, sculpture de soi. La Lumière que nous recevons et qui nous crée FM, est cette Lumière vers laquelle nous voyageons, retour au Principe. Principe créateur porteur du plan, postulat du sens au monde et à la vie. Il est de notre nature d’être obsédé par l’Insaisissable, Principe d’une Recherche, pas d’une Révélation. Différence de la Parole perdue et de la parole révélée. Le volume de la Loi Sacrée n’est pas la traduction de la Parole divine, il est le symbole de la Tradition, de l’histoire commune de l’humanité et qui doit être interprété sous l’angle de l’équerre et du compas, de la droiture de pensée et d’action, ainsi que de la justice. Construire et vivre une humanité apaisée exige l’amélioration de soi par une recherche constante sur notre propre nature et aussi mieux comprendre la nature de l’autre, sans qui nous ressentons que nous ne pouvons être nous même. La FM est une école de vie, une école à être où nous apprenons de Caïn et Abel à être le gardien de l’autre, de l’autre partie de soi-même. La possibilité de l’initiation, c’est rassembler ce qui est épars, c’est reconstituer l’intégralité de son être.

Ecole à être, école à veiller aussi. Etre l’appui, le soutien sur lequel et grâce auquel l’autre voit plus loin. Etre passeur de liberté par le don. Caïn donne avec la main, Abel offre avec le cœur, Caïn donne ce qu’il a, Abel offre ce qu’il est. Le rituel d’instruction au 1 er et 3° degré : » Etes vous FM ? » » Mes FF me reconnaissent comme tel. La fraternité est d’abord une reconnaissance. Caïn n’a pas reconnu Abel. Le meurtre pouvait stériliser l’humanité comme la mort d’Hiram pouvait faire péricliter la construction de notre édifice. Les origines du grade de MM peuvent être rapprochées de Caïn et Abel.

Trois tuent Hiram, et trois refont l’unité du Maitre. Le maitre meurt par trois et renait par trois. Comme les deux frères doivent devenir trois par Seth pour refaire leur unité, l’accord avec Dieu, les trois principaux officiers de la Loge relèvent le Maitre. Notre mort symbolique, qui porte notre naissance spirituelle nous permet de refaire notre unité totalité. Le relèvement du Maitre se fait donc par l’action de trois, les cinq points parfaits de la Maitrise et la communication du mot sacré. Prise de Mains en griffe, rapprochement des pieds, des genoux, des cotés puis attraction des cœurs par appui des mains dans le dos, les cinq points parfaits fondent une réanimation successive pour sortir de la dualité du temps. La communication du mot sacré, mot substitué devient le souffle de revitalisation, reflet du souffle de vie d’Abel.

Les assassins d’Hiram, les mauvais compagnons porteurs de l’ignorance, le fanatisme et l’ambition sont des FF jaloux du salaire des MM comme Caïn, concentré des mêmes métaux, pouvait l’être de l’offrande d’Abel.

Les hommes perdent au 3° degré Hiram l’architecte, ils perdent ainsi le lien à la Grande Architecture, au Principe. C’est là la vocation des MM, la construction, la création ; l’homme est à l’image de Dieu, l’humanité est en charge du monde et doit le construire. La parole primitive fécondante est perdue avec la mort du Maitre, il faut une parole substituée et la faire revivre. La faire revivre passe par une élévation, le redressement du corps du Maitre.

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31 Le FF entre dans le Temple à reculons, on l’amène au meurtre. Il remonte aux origines, à Caïn et Abel, s’affranchit-il du temps ? Il doit être reconnu innocent avant de se retourner. Après avoir enjambé le corps dans le cercueil, le FF prendra la place du MM dans le cercueil. L’un remplace l’autre, Maitre Hiram doit devenir un avec le nouveau Maitre. Les deux frères représentent la complétude d’Abel et Caïn. Dualité qui se résorbera dans l’unité du centre : le maitre devient le miroir pour tous les disciples à venir de leur être en devenir.

L’humanité entreprend une quête sans fin, la Parole n’est pas retrouvée une fois pour toutes, c’est une pensée vivante qui ne peut être figée et dont nous devons rassembler les éléments.Caïn et Abel, épreuve de la fraternité Le nouvel Hiram, comme Seth, devient le germe d’une nouvelle humanité. Ainsi la violence primordiale ne définit pas l’échec de la fraternité, elle en est bien l’épreuve, épreuve toujours renouvelée comme le disent ses quelques mots :

Ici dans ce transport, moi Eve, avec mon fils Abel, si vous voyez mon fils ainé, Caïn fils d’Adam, dites lui que je… le poème n’est pas terminé, il est rapporté par Dan PAGIS, déporté à Auschwitz. Eve mère de tous les vivants, subit le même sort que son fils Abel. Elle est avec lui dans le wagon qui l’emmène au camp de la mort. Caïn a abusé de sa force, Caïn a obéit aux ordres.

L’histoire de l’humanité exige la plus grande vigilance, pour tous les Caïn que nous pouvons être.

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32 9 – La Fraternité en Loge

Par définition, Fraternité vient du latin fraternitas, relation entre frères, entre peuples, lui-même dérivant de frater, frère.

La fraternité est le lien fraternel et naturel qui unissent ou devraient unir les membres de la même famille. Elle implique la tolérance et le respect mutuel des différences, contribuant ainsi à la paix. Dans un sens plus restrictif, la fraternité désigne le lien existant entre les membres d’une même organisation.

La Constitution et les règlements généraux de la Grande Loge de France précise à la page 15 que la « Franc-maçonnerie est un Ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la Fraternité »

L’initié, qui découvrira cette fraternité symboliquement en formant la chaine d’union avec ses frères, sentira sans doute le lien qui nous unie.

Certes, au début cette relation entre initiés n’impliquera pas forcément une communion d’esprit : cela dépendra de la personnalité de chacun.

Néanmoins, le Rite écossais ancien et accepté (REAA) n’est t-il pas conçu pour faire naitre par sa pratique, dans l’esprit des adeptes un état de confiance favorable, pour que cette communion fraternelle puisse se faire à l’ouverture, puis à la fermeture des travaux de la Loge ?

Cette méthode d’apprentissage peut paraître à certains égards « individualiste » avant de devenir « collectif ».

Avant de « partager », ne faut-il pas se connaître soit même ? » L’initié dans sa quête de la Vérité va s’évertuer à acquérir progressivement le réflexe d’abandonner ses métaux, symbole de pulsions diverses mal contrôlées, de rétention ou d’orgueil, pour ne pas les reprendre à minuit.

Au premier degré symbolique, l’initié qui travaille sa pierre brute en utilisant le Maillet et le Ciseau, ainsi que la règle à Vingt Quatre (24) division, effectue à chaque fois, un travail individuel afin d’avancer sur son chemin initiatique En désirant la Lumière, il l’a reçue. Sur ce long chemin, qui n’est pas forcément un long fleuve tranquille, la question est de savoir, si la Lumière continuera à briller en lui.

Ce parcourt, nul ne peut prétendre le traverser seul.

Durant son initiation, le postulant, devenue récipiendaire (avant le premier voyage jusqu’au troisième voyage), néophyte (reçoit la Lumière), puis Frère (après avoir été créé, constitué et reçue Apprenti Franc-maçon) par le Vénérable Maitre, est guidé par des Frères.

Le futur initié a senti une aide fraternelle durant ses trois voyages « alors qu’il n’a pas encore reçu la Lumière ».L’œuvre individuelle devient collective.

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33 C’est en remplissant son premier devoir, c’est-à-dire « venir en Tenue », que le Franc-maçon éprouvera avec ses Frères les mêmes objectifs :

« Vaincre ses passions, soumettre sa volonté et faire de nouveaux progrès dans la Franc-maçonnerie » L’œuvre collectif prend tout son sens : chacun éprouve un véritable élan du cœur, puisque chacun en principe- ressent qu’il est un maillon de la fratrie, reconnue comme tel, responsable entre cette génération de Frères, qui se sont succéder dans la Loge, pour ne pas interrompre la construction du Temple.

Au sein même de la Loge, les outils ne fraternisent t-ils pas, bien qu’au premier abord, ceux ne sont que des métaux ?

Le Maillet associé au Ciseau : le Ciseau en acier trempé, tranchant la pierre brute, grâce au Maillet, dégrossit, gomme les imperfections.

L’Equerre placé au dessus du Compas ouvert à soixante degré, par le F :. Expert nous rappelle le chemin à parcourir : la matière dominant l’esprit au Premier degré.

Cette communion spirituelle vécue dans une Loge juste et parfaite continue à la fin des travaux. Dans les Ateliers de la Grande Loge de France à Madagascar, cette Fraternité s’identifie aussi à l’amour de l’autre au sens spirituel du terme, en allant de l’écoute au conseil.

La fraternité rejoint ici le sens grec de l’agape (amour), le repas fraternel pris en commun, la communion, l’échange.

« Continuer en dehors le travail commencé dans le Temple », valorise un peu plus le travail de l’ouvrier.

S’intéresser à son prochain, c’est aussi bien lui offrir du temps.

Cette richesse si précieuse de nos jours.

Ce « don de soi » s’explique autant par dans un coup de fil chaleureux, que dans la conversation hors du Temple.

Cette Fraternité prend tout son sens quand les frères d’une Loge participent, à l’appel des Vénérables Maîtres à une collecte pour aider un des leurs en difficulté.

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34 10 – Elevons nos Cœurs en Fraternité…

Dès que nous sommes sur les parvis du Temple, en méditation, les Apprentis Franc-maçons reçoivent des injonctions. Ainsi, le F. Maître des Cérémonies annonce « Mes Frères, prêtez attention à l’entrée du Vénérable Maître ».

Il s’agit là de la première injonction de notre Rituel du Premier Degré du REAA, de caractère conditionnel, à l’adresse de tous les assistants – non encore préalablement reconnus comme Apprentis Franc-maçons toutefois. – Des injonctions ou invocations émaillent les Rituels de notre Rite Ecossais Ancien et Accepté. Proposées à notre réflexion, elles constituent des interventions verbales fortes dont il convient d’extraire la portée symbolique. Par leur contenu initiatique, elles sont la Lumière sur notre chemin et contribuent à l’expression de la méthode maçonnique.

La formule dont le commentaire m’échoit « ELEVONS NOS CŒURS EN FRATERNITE » est l’une d’elles. Elle exprime, de prime abord, une attitude de solidarité et de ferveur vers laquelle sont appelés et doivent tendre les Franc-maçons réunis en Tenue Solennelle ou Régulière. L’expression est impérative et met un terme à la lente, prudente et vigilante métamorphose caractérisant le processus d’ouverture des travaux maçonniques.

Entre l’appel liminaire du Vénérable Maître : « Prenez place mes Frères » avant de procéder à l’ouverture de la Loge et sa solennelle invocation, incantatoire par sa gestuelle et sa résonance, dont les termes en appellent de l’entité maçonnique dans son intégralité, qu’il s’agisse du GADLU, (je rappelle que l’Instance Suprême du Principe Créateur vient d’être invoquée par l’Orateur à la lecture du prologue de l’Evangile de Saint-Jean), de l’Universalité maçonnique, de l’Obédience ou de la Loge de Saint-Jean… le cheminement du Rituel nous conduit peu à peu dans une autre dimension, bien au-delà des tumultes du monde profane, et qui sensiblement a gagné notre mental, a envahi notre cœur et a éveillé notre âme.

Quelle mutation ! Outre le Rite proprement dit, qui est illumination de l’Esprit, l’organisation même du Temple, sa structure particulière de part et d’autre de la remarquable ligne axiale reliant le monde sensible du parvis au monde spirituel de l’Orient, avec ses officiants, ses grands Symboles maçonniques, participent de cette dynamique appelant à la transcendance.

La Loge est un « Haut Lieu » dès lors que le Rituel la sacralise.

La batterie et l’acclamation écossaise ont retenti !!!

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35 Le Vénérable Maître, vers qui tous les regardent convergent depuis l’invocation, est alors habilité à traduire et confirmer cette mutation. Conforté et porté par la communauté fraternelle attentive, l’Assemblée des Frères figée dans la rectitude de l’Ordre, il lance un nouvel appel :

« Mes Frères ! Elevons nos Cœurs en Fraternité ! »

– Est-ce l’incitation à un autre élan collectif, préalable, vers ce qui transcende l’Univers, vers l’intuition d’un monde caché derrière le monde visible ?

– Est-ce l’invite à une « Elévation » des Frères cherchant à appréhender une vérité spirituelle qu’ils savent inaccessible ?

– La formule s’inscrit-elle comme une ultime mise en garde des Frères, appelés à se rassembler, à rassembler ce qui est épars en eux et à s’unir en un corpus actif dans l’attente d’une réalité plus haute et plus vaste qu’eux-mêmes ?

Sans doute y a-t-il un peu de tout cela dans cet appel, mais peut-être faut-il y discerner, aussi, comme une ultime et suprême recommandation à la discipline cohésive, avant que les regards puissent se tourner vers la Lumière, alors que, déjà, toutes dispositions nécessaires de sacralisation ont été prises.

Enoncée comme un ordre formel, l’expression laisse filtrer, me semble t-il, comme une subtile exhortation à l’impératif devoir de solidarité fraternelle et d’harmonie des Francs-Maçons.

Venant après l’appel interjectif du Vénérable Maître (« Mes Frères ») et deux propositions confirmant deux constats :

1) la dissipation des ombres épaisses du monde profane par le magistère du Rituel d’une part,

2) l’abandon des préjugés du vulgaire et de l’illusoire richesse des métaux d’autre part. Le Vénérable Maître a bien précisé « Mes Frères ! Nous ne sommes plus dans le monde profane, nous avons laissé nos Métaux à la porte du Temple. Elevons nos cœurs en fraternité et que nos regards se tournent vers la Lumière ».

L’élément de phrase rituelle dont il s’agit, s’insère dans une suite orale complexe, marquant une évolution solennelle décisive dans l’ouverture des Travaux, et dans la concision, le rythme, la montée en puissance des allusions symboliques viennent « se fondre » dans le concept-clé de Fraternité !

Alors oui, mes Frères, « ELEVONS NOS CŒURS EN FRATERNITE ». Nous le pouvons, et nous en avons le devoir.

Nous avons dépassé l’exigence rituelle et atteint un état de conscience différent, appartenant à une autre dimension que celle de la vie profane. Une fois de plus, nous sommes repassés par le Cabinet de Réflexion, une fois de plus nous avons procédé au sacrifice pour atteindre au Sacré.

Mais aussi, dépouillés de nos passions et de nos préjugés, le cœur neuf et l’esprit serein, nous avons plongé en nous.

Les conditions requises et nécessaires pour donner une réalité à la « Fraternité Maçonnique » sont réunies. Le Temple existe par la volonté concertée des Frères, unis par le même engagement de fidélité inclus dans leur Serment Solennel prononcé lors de leur Initiation mais aussi : « d’aimer ses Frères, de les secourir et de leur venir en aide ».

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36 C’est ainsi que l’un des caractères dominants de la Loge est le respect de que j’appellerais notre « Contrat Fraternel ».

Nous voici donc au cœur de notre sujet, une fois encore :

« ELEVONS NOS CŒURS EN FRATERNITE »

La formule est ternaire et révèle trois composantes dont il nous fait peser chaque mot et aller vers les implications que chacun d’eux suggère :

1) le concept d’Elévation d’abord. Démarche anagogique (du grec ana, en haut, et de agôgos, qui conduit. Il peut s’agir de l’Elévation de l’âme dans la contemplation mystique et/ou de l’interprétation des Ecritures par laquelle on s’élève du sens littéral au sens spirituel). Démarche anagogique s’il en est, qui nous interpelle et nous porte à franchir collectivement le pas d’un monde à l’autre, en communauté fraternelle, nous exaltant au-delà de nous-mêmes pour nous faire prendre conscience d’une réalité qui nous dépasse, où chacun des Frères devient UN avec le TOUT (En To Pan), ce TOUT vivant en chacun de nous.

2) la notion de Cœur ensuite. Le Cœur, centre de l’individualité et siège de nos sentiments qui rappelle, ici, sa présence entre l’Esprit et la Raison, exaltant notre sensibilité naturelle et notre spontanéité qui nous porte à aller vers l’Autre, avec les autres!

3) la Fraternité, enfin, vertu fondamentale de notre Ordre Maçonnique.

Mais qu’est-ce que la Fraternité ? Le Thème de l’année Maç. 6003/6004. L’étymologie rapporte l’origine latine du mot « Frère », à savoir « Frater » qui désignait tout membre de l’espèce humaine. « Frater » ne faisait nulle allusion à un lien parental, et, si l’on voulait spécifier une descendance, il fallait ajouter l’adjectif « germain », évoquant le « germen », la graine. Aux yeux des premiers chrétiens, le sacrement du baptême donnait au baptisé une nouvelle nature, séparant l’humanité en deux groupes distincts : les chrétiens et les autres. L’utilisation du terme « Frère » s’est généralisée, et nombreuses sont les communautés qui qualifient leurs adeptes de « Frères », ce qui a conduit à la banalisation du terme.

La difficulté certaine à appréhender le concept de fraternité réside sans doute dans sa dualité ou son caractère binaire. Tous les hommes sont Frères, nous dit-on, mais les mythes et les légendes supports de la Tradition sont fondés sur le meurtre et l’ignominie. Abel et Caïn, Romulus et Remus sont les exemples traditionnels de la haine des Frères et des Hommes entre eux. En fait, à l’exemple de Janus, notre démarche spirituelle va nous faire prendre conscience qu’à l’intérieur de chaque conscience coexiste le couple Amour/Haine. Rappelons-nous l’épreuve du Miroir et l’image qui s’y reflète. Mais, au même titre que le noir s’oppose au blanc dans le « Pavé Mosaïque », le Mal seraitil aussi nécessaire que ce que nous avons coutume d’appeler le Bien ? Après tout, la Lumière a également besoin des Ténèbres…Notre démarche alchimique va nous permettre de comprendre l’un des points essentiels de la Table d’Emeraude, qui énonce que « l’équilibre réside dans l’analogie des contraires ». Nous pouvons aussi ajouter avec Saint-Augustin : « Que tu sois bon ou que tu sois mauvais, que tu le veuilles ou que tu ne le veuilles pas, tu es mon Frère ».

Mais alors, pour nous Francs-Maçons du REEA, qu’en est-il de cette Fraternité ?

Nos textes constitutifs l’inscrivent au centre même de l’idée maçonnique.

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37 Le point 1 de la règle en douze points, qui figure comme la clé de voûte de la Constitution de la GLNF stipule que « La Franc-maçonnerie est une fraternité initiatique qui a pour fondement traditionnel la foi en Dieu, Grand Architecte de l’Univers ». Le point 2 énonce que « La Franc-Maçonnerie se réfère aux « Anciens Devoirs » et aux « Landmarks » de la Fraternité ». Le point 3 précise que « La Franc-maçonnerie est un Ordre auquel ne peuvent appartenir que des hommes libres et respectables qui s’engagent à mettre en pratique un idéal de paix, d’amour et de fraternité ». Enfin reprenant les « Old Charges », le point 6 stipule que « La Franc-Maçonnerie est un centre permanent d’union fraternelle ou règne une compréhension tolérante et une fructueuse harmonie entre des hommes qui, sans elles, seraient restés étrangers les uns aux autres ».

Mais comment formuler l’idée que les Francs-Maçons se font des concepts de Fraternité et de communauté fraternelle ?

Le rassemblement des hommes en une authentique fraternité ne peut résulter, pour nous, que de la pratique initiatique. L’engagement maçonnique conduit à une conception différente des rapports humains avec le monde. Il implique à l’égard de soi un certain nombre d’exigences. C’est se mettre en question, s’interroger et faire effort pour voir les choses autrement qu’on ne l’a fait jusqu’alors. C’est vouloir naître à une nouvelle existence et, par conséquent, devenir ce que l’on est. Cette condition est la clé de l’initiation.

A l’évidence, le premier travail du Franc-maçon est l’insertion dans un cadre contraignant, dans un ensemble de disciplines rituelles et spirituelles, qui constituent les préliminaires de l’initiation. C’est ainsi que la Loge est le creuset primordial de la Fraternité initiatique, où les Francs-Maçons se doivent de resserrer, toujours plus, les liens qui les unissent. C’est là qu’il leur appartient de promouvoir le Monde selon la Règle qui est la leur, fondamentalement ce qui implique « qu’ils fuient le Vice et pratiquent la Vertu, qu’ils vainquent leurs passions et soumettent leur volonté à leurs devoirs ». Telles sont les conditions que nous fixe l’instruction au Premier Degré symbolique. L’action que sous-tend la pratique rituelle devient un « Combat ». C’est ce combat qui permettra de projeter hors du Temple leur force d’exemple, de marcher dans la vie « selon l’équerre ».

Mais l’objectif de fraternité ne peut-être atteint que si nous pratiquons un retour sur ce que nous appelons notre Temple intérieur, qui nous ouvre le chemin d’une Spiritualité Individuelle, d’une « individuation » comme l’exprimerait notre Vénérable Maître d’Honneur. Démarche introspective donc, dont la Loge est « l’athanor alchimique », où se fondent l’analyse de soi et l’apprentissage des Autres, unissant l’individu aux Autres et les rassemblant en éléments solidaires et indissociables d’une communauté de Frères « élevant leurs cœurs en fraternité » au-delà de leur différence et tentant de créer cet éggrégore qui nous fait tous vibrer.

Notre Fraternité, c’est donc bien, en premier lieu, retrouver notre véritable nature et reconstituer notre propre cohérence, mais, simultanément, rechercher la nécessaire confrontation avec les Autres et les reconnaître comme Frères. Pour cela, il nous faut, selon l’expression forte de Michel de Montaigne : « Planter notre regard en nous, replier notre vue vers le dedans et nous rouler dans notre âme ».

Affirmer notre fraternité initiatique, c’est aussi la réaliser par une fraternité philanthropique, ce qui nous fait porter notre regard vers le Chevalier de Ramsay, dont le « Discours » évoquait, à l’heure de l’Encyclopédie et dans le contexte de l’époque, la « Saine morale » conditionnant l’Ordre des Francs-Maçons pour « Former des hommes, des hommes aimables, de bons citoyens, inviolables dans leurs promesses, fidèles adorateurs du Dieu de l’amitié, plus amateurs de la vertu que des

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38 récompenses ».

Enfin, notre Rituel le rappelle à la fin des travaux en nous demandant « d’achever au-dehors l’œuvre commencée dans le Temple ». En effet, l’œuvre de Fraternité perdrait de sa signification si elle restait confinée à l’intérieur du Temple ; ce serait contester sa vertu fondamentale de perfectionnement moral de ses membres et de l’humanité tout entière (point 4 de la règle en Douze points). Mais comment ?

Repoussant la connotation utopiste ou mythique qu’évoquerait le terme de fraternité universelle, le Franc-maçon, convaincu que la voie du perfectionnement humain passe par le cœur de l’homme, doit « réfléchir » autour de lui et faire valoir aux yeux des profanes les valeurs sur lesquelles pourrait s’édifier un monde plus fraternel.

C’est à partir de là, qu’en se plaçant sous le signe de l’Equerre, emblème de rectitude, il affirme sa droiture dans sa relation à Autrui et à la société. C’est sur l’exemplarité des Frères, véritables émissaires de notre Ordre, que se construit et se poursuit au dehors l’œuvre maçonnique.

A la clôture des travaux, une nouvelle fois le Vénérable Maître avant de nous séparer, nous exhorte à élever nos cœurs en fraternité, nous invitant à faire notre les paroles du Prologue de l’Evangile de Saint-Jean, pour affirmer la capacité des hommes à s’unir, progresser et s’accomplir, dans une Tradition de Lumière, symbole de la Spiritualité.

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