La Reconnaissance…
A :. L :. G :. D :. G :. A :. D :. L’U :.
« La reconnaissance, à quoi ça sert quand on est régulier ? » Le contexte actuel d’effervescence qui continue d’agiter la Franc-maçonnerie en France jette une grande confusion entre les termes « Régularité » et « Reconnaissance », allant même jusqu’à poser la question de l’utilité de l’un ou de l’autre. Quelquefois ces deux termes sont confondus, parfois, ils sont utilisés à tort voire détournés de sens à des fins d’autojustification ou politiques.
Pour les clarifier, il est nécessaire de revenir sur un peu d’histoire.
D’une société de Métier à un Ordre de société.
Depuis les Statuts Schaw de 1598-1599, en Ecosse, l’exercice du Métier de Maçonnerie opératif est strictement codifié par une série de règlements qui l’organisent sur des bases totalement nouvelles et définitives : réseau de Loges unies autour d’une Constitution commune (les Statuts), juridictions territoriales définies, séparation du Métier entre une société d’ouvriers tailleurs de pierre (Apprentis « Entered Apprentices » et Compagnons « Fellowcrafts ») et une société de Maîtres d’œuvre (« Incorporation ») qui dressent les plans, taillent les pierres dans des géométries difficiles, et contrôlent les travaux des Loges par deux « Officiers » importants, les « Surveillants » (« Warden ») et le représentant de la société des Maîtres d’œuvre, le « Diacre » (« Deacon »). On peut dire qu’à partir des Statuts Schaw, la notion de « Maçon libre dans une Loge libre », au sens administratif, n’existe plus si jamais elle a existé.
En Angleterre, les documents prouvent qu’il n’en était pas autrement du Métier et surtout des confréries caritatives du Métier, plus abondantes qu’en Ecosse. La Compagnie des Maçons de Londres réglait les Loges placées sous sa juridiction.
Le passage de Maçonnerie opérative à la Franc-maçonnerie spéculative n’a pas changé ce type d’organisation. On peut même affirmer que l’organisation écossaise s’est imposée dès le début. A preuve.
Avec la réunion des quatre premières Loges, à Londres, en 1717, pour fonder la Grande Loge de Londres, dotée d’une Constitution propre dès 1723, la Maçonnerie, devenue spéculative se transforma d’une société professionnelle en un Ordre de société à vocation universelle.
Son imperium sur la Franc-maçonnerie mondiale se renforça encore par l’union avec sa Grande Loge rivale pour former la Grande Loge Unie d’Angleterre, en 1813. Il lui conféra des obligations vis-à-vis de l’Ordre.
La primauté de la Grande Loge anglaise et des juridictions britanniques.
Contrairement à une opinion souvent répandue, le rôle de la Grande Loge anglaise comme « référentiel » de la Franc-maçonnerie universelle pour les canons de la régularité maçonnique, n’a pas été de son fait. Il est provenu du besoin de plusieurs Grandes Loges européennes de définir les contours du Métier spéculatif (le « Craft ») plus ou moins malmenés par le développement fulgurant de la Franc-maçonnerie en Europe dès les années 1730. A cela s’ajouta la nécessité de contenir les inventions, chimères, et inévitables dérives issues d’initiatives locales qui risquaient de défigurer la chaîne universelle et de la faire dériver vers d’autres usages et buts que ceux d’origine. Ce besoin justifia la seconde édition des Constitutions d’Anderson de 1738.
C’est ainsi que les « Grandes Loges allemandes, celle des Pays-Bas, celle de Suède, etc. » ont unanimement reconnu leur Mère dans la Grande Loge de Londres, qui a les preuves d’avoir établi le premier Grand Maître National en France » (Lettre du Marquis de Vignoles, Grand Maître Provincial pour l’étranger de la Grande Loge d’Angleterre, 5 septembre 1775). La primauté de la Grande Loge de Londres, devenue ‘d’Angleterre’, puis ‘Grande Loge Unie d’Angleterre’ était légalement et légitimement établie. Elle l’étendit peu après aux Grandes Loges d’Ecosse et d’Irlande, devenant ainsi, toutes trois, les « Grandes Loges Mères de la Franc-maçonnerie universelle » ou « Home Grand Lodges ».
De la régularité individuelle à la reconnaissance entre Grandes Loges.
Après le Convent de 1877 du Grand Orient de France qui le fit mettre hors de la chaîne des Grandes Loges pour motifs d’irrégularité, que nous ne mentionnerons pas ici,1877, tous les Francs-maçons capables de montrer leur certificat, selon les cas d’Apprentis, Compagnons ou Maîtres reçus dans des Loges régulières, c’est-à-dire appliquant les us et coutumes de la Franc-maçonnerie de Tradition, étaient encore reconnus personnellement dans leurs visites à des Loges étrangères. Pas ceux reçus après 1877. En 1914, le Grand Maître du Grand Orient de Belgique de l’époque, déjà devenu irrégulier en 1876, mais qui recevaient encore des Maçons de passage dans ses Loges, décréta que les Frères allemands, pour cause de guerre, ne pouvaient plus être reçus et en imposa l’interdiction aux Loges. La conséquence fut que de personnelle, la reconnaissance devint institutionnelle, ce qui conduisit les Grandes Loges à se reconnaître comme régulières entre elles, emportant donc la reconnaissance personnelle de leurs membres qui devint, de ce fait, caduque. D’une nature « maçonnique », la reconnaissance passa à une nature « juridique », à la faveur d’accords de reconnaissance que les Grandes Loges passèrent entre elles. Il fut alors nécessaire de « blinder » la nature de ces accords par la définition d’une vision commune de la régularité maçonnique.
Pour répondre à ce besoin, plusieurs textes furent établis. Les deux les plus importants, qui ont toujours force de loi, sont les célèbres Basic Principles de 1929 et de 1949.
Et pour ne pas compliquer la situation, il était admis qu’une seule Grande Loge serait reconnue par pays, ce qui accentua le caractère juridique de la reconnaissance et le doublant d’une nature nationale.
Il est intéressant de noter, comme déduit de ce qui précède, que les critères de la régularité de la Franc-maçonnerie internationale s’entendent désormais sur le périmètre d’une Grande Loge et non sur celui des Loges. Cela s’entend très bien si l’on comprend que, pour la chaîne maçonnique universelle, la qualification de « régulière » ne peut s’appliquer que « La reconnaissance, à quoi ça sert quand on est régulier ? »
sur une juridiction qui, l’ayant reçu par reconnaissance de la part de ses pairs, en transmet le caractère à toutes ses Loges.
Basic Principles de 1929.
Ils comprennent huit articles.
1° La régularité d’origine ; à savoir que chaque Grande Loge aura été régulièrement fondée par une Grande Loge dûment reconnue, ou par trois loges ou davantage régulièrement constituées.
2° La foi au Grand Architecte de l’Univers et en Sa volonté révélée seront les conditions essentielles à l’admission des membres.
3° Tous les initiés devront prêter leur Obligation sur le Livre de la Sainte Loi, ou les yeux fixés sur ce Livre ouvert, par lequel est exprimée la Révélation d’En-Haut par laquelle la conscience de l’individu qu’on initie est irrévocablement liée.
4° La Grande Loge et les Loges particulières seront exclusivement composées d’hommes ; et chaque Grande Loge n’entretiendra aucune relation Maçonnique de quelque nature que ce soit avec des Loges mixtes ou avec des corps qui admettent les femmes en qualité de membres.
5° La Grande Loge exercera une juridiction souveraine sur les Loges soumises à son contrôle ; c’est-à-dire, qu’elle sera un organisme responsable, indépendant et entièrement autonome, possédant une autorité unique et incontestée sur le Métier ou les Degrés Symboliques (Apprenti, Compagnon et Maître) placés sous sa Juridiction ; et elle ne sera en aucune façon subordonnée à un Suprême Conseil ou autre Puissance revendiquant un contrôle ou une surveillance sur ces degrés, ni ne partagera son autorité avec ce Conseil ou cette Puissance.
6° Les Trois Grandes Lumières de la Franc-maçonnerie : le Livre de la Sainte Loi, l’Équerre et le Compas, seront toujours exposées pendant les travaux de la Grande Loge ou des Loges sous son contrôle, la principale de ces Lumières étant le Volume de la Sainte Loi.
7° Les discussions d’ordre religieux ou politique seront strictement interdites en Loge.
8° Les principes des « Antient Landmarks », coutumes et usages du Métier seront strictement observés.
La version de 1949, ne change rien sur le fond. Elle reprécise certains points.
Cependant si une Grande Loge respecte les critères de la Régularité, elle n’en est pas pour autant automatiquement reconnue comme telle. Elle doit en faire la demande et l’obtenir pour se prévaloir de « membre de la Franc-maçonnerie universelle ». La régularité, même incontestée, n’entraîne pas la reconnaissance de plein droit.
Une remarque importante : depuis une période récente, la Grande Loge Unie d’Angleterre a mis fin au principe du monopole d’une seule Grande Loge par pays, sous la pression de la réalité. Elle admet désormais la possibilité de reconnaître comme régulière, plus d’une Grande Loge dans un pays où il en existe déjà une reconnue par elle. Mais pour obtenir la reconnaissance juridique qui seule donne le droit d’intervisites, elle exige que la « junior » obtienne cette accord de la « senior ». Cependant de plus en plus de Grandes Loges, notamment européennes, s’arrogent le droit de reconnaître de plein droit toute Grande Loge qui peut prouver sa régularité, en particulier, qu’elle n’a pas de relation notamment d’intervisites avec un corps maçonnique réputé irrégulier, ce qui est la première condition.
Pourquoi « ça sert d’être régulier et reconnu comme tel » ?
La reconnaissance n’est pas seulement, comme on le prétend quelquefois, un simple viatique pour visiter des Loges « régulières et reconnues » à l’étranger.
Son premier avantage est celui de la protection d’une Grande Loge contre la pression vers l’irrégularité, sous la poussée du milieu où elle existe ou de la pression de certains de ses membres pour faire dévier la nature traditionnelle d ses Travaux initiatiques vers des débats sociétaux ou politiques. Cette protection est d’autant plus nécessaire en France pour les Grandes Loges qui veulent faire bénéficier leurs membres de l’authenticité maçonnique qu’offre le privilège de la régularité reconnue, que les Loges vivent dans un bain d’irrégularité. Car la maçonnerie en France représente moins de 10 % de la Maçonnerie dans le monde mais plus de 90 % de la Maçonnerie irrégulière dans le monde. La pression aux intervisites et à la dérive des Travaux, de l’extérieur ou de l’intérieur, est très forte et nécessite une protection solide que seule la reconnaissance de Grandes Loges pairs peut garantir
En conclusion.
Le choix d’être ou de ne pas être membre d’une Grande Loge ou d’une juridiction de Hauts Grades, régulière, reconnue comme telle, est optionnel ; il relève de la liberté de chacun.
Mais il faut être conscient que les deux cas ne sont pas équivalents.
Être dans un corps maçonnique non reconnu comme régulier ou déchu de la reconnaissance de sa régularité par ses pairs, met le corps et ses membres hors de la chaîne maçonnique universelle. La qualité même de « Franc-maçon » lui est retirée ou non accordée si le vice est d’origine.
Répétons que « Régularité », même incontestée, n’emporte pas nullement « Reconnaissance » de droit ou de fait. Il est nécessaire que le corps maçonnique, Grande Loge ou juridiction de Hauts Grades, soit reconnu comme tel.
Le sujet Reconnaissance est donc une question « clivante » ; il importe que chaque Franc-maçon se détermine individuellement et clairement en pleine connaissance de cause sur les conséquences que son choix personnel entraîne pour la suite de son cheminement maçonnique et pour le corps maçonnique dont il est membre.
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